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s’il fût revenu d’un combat ; mais lorsqu’elle le voyait tirer, de son carnier, un lièvre ou une couple de perdrix, et les déposer sur la table, il lui semblait voir un guerrier vainqueur chargé des dépouilles de l’ennemi.

Ce qu’elle craignait arriva un jour ; Gaston, en sautant une haie, fit une chute de cheval ; il tomba au milieu des ronces, et en fut quitte pour quelques égratignures. De quelles poignantes émotions ce léger accident fut la cause ! La prudence de Margot faillit l’abandonner ; elle fut d’abord près de se trouver mal. On la vit joindre les mains et prier tout bas : que n’eût-elle pas donné pour avoir la permission d’essuyer le sang qui coulait sur la main du jeune homme ! Elle mit dans sa poche son plus beau mouchoir, le seul en sa possession qui fût brodé, et elle attendait impatiemment quelque occasion de le tirer à l’improviste pour que Gaston en pût envelopper un instant sa main ; mais elle n’eut pas même cette consolation. Le cruel garçon étant à souper, et quelques gouttes de sang coulant de sa blessure, il refusa le mouchoir de Margot et roula sa serviette autour de son poignet. Margot en sentit un tel déplaisir, que ses yeux se remplirent de larmes.

Elle ne pouvait penser cependant que Gaston méprisât son amour ; mais il l’ignorait ; que faire à cela ? Tantôt Margot se résignait, et tantôt elle s’impatientait. Les évènemens les plus indifférens devenaient tour à tour, pour elle, des motifs de joie ou de chagrin. Un mot obligeant, un regard de Gaston, la rendaient heureuse une journée entière ; s’il traversait le salon sans prendre garde à elle, s’il se retirait le soir sans lui adresser un léger salut qu’il avait coutume de lui faire, elle passait la nuit à chercher en quoi elle avait pu lui déplaire. S’il s’asseyait près d’elle par hasard, et s’il lui faisait un compliment sur sa tapisserie, elle rayonnait d’aise et de reconnaissance ; s’il refusait à dîner de manger d’un plat qu’elle lui offrait, elle s’imaginait qu’il ne l’aimait plus.

Il y avait de certains jours où elle se faisait, pour ainsi dire, pitié à elle-même ; elle en venait à douter de sa beauté et à se croire laide toute une après-dînée. En d’autres momens, l’orgueil féminin se révoltait en elle ; quelquefois, devant son miroir, elle haussait les épaules de dépit, en pensant à l’indifférence de Gaston. Un mouvement de colère et de découragement lui faisait chiffonner sa collerette et enfoncer son bonnet sur ses yeux ; un élan de fierté réveillait sa coquetterie ; elle paraissait tout à coup, au milieu de la journée, revêtue de tous ses atours, et dans sa robe du dimanche, comme pour protester de tout son pouvoir contre l’injustice du destin.