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le nombre des étages et le prix du poisson. Ces trois hommes ont cependant foulé la même campagne, regardé la même ruine, respiré sous le même ciel. Mais, que voulez-vous ? les yeux et l’esprit diffèrent. Au lieu de M. de Campuzano, imaginez à Paris le cardinal Alberoni ou le comte d’Aranda, un des plus illustres prédécesseurs de M. le comte de Rechen dans l’ambassade de France. Les deux derniers auront vu, compris et fait de la politique. M. de Campuzano aura signé des passeports. Ne me dites pas que je suis trop sévère envers un diplomate qui n’en était pas à ses débuts, ce que je sais fort bien, quand il est venu à Paris, au mois de septembre 1836, représenter l’administration dont M. Mendizabal était l’ame. Le caprice des révolutions faites par en bas est aussi aveugle que celui du despotisme monarchique le plus ignorant, le plus livré à l’esprit de faveur. Voyez, je vous prie, à quelles mains les révolutions anarchiques ont souvent jeté le pouvoir ; dites-moi si vous ne préférez pas, sous le rapport des lumières, le ministère de M. de Vergennes, par exemple, à telle ou telle des administrations éphémères qui se sont succédé en France pendant les plus mauvaises années de la révolution, et si l’ignorance, l’incapacité, le fanatisme grossier de quelques-uns des cabinets formés par Ferdinand VII, ne se sont pas reproduits, sauf la différence de couleur politique, chez certains ministres que les évènemens ont imposés à l’Espagne dans le cours de ces dernières années. En temps de révolution, défiez vous, monsieur, des héros de parti ; jamais l’improbité et la médiocrité n’ont plus de chances de succès.

Mais voilà des réflexions bien graves, à propos d’un petit écrit qui ne l’est guère, sauf le titre toujours, et la gravité risible avec laquelle l’opposition en parle. La Vérité adressée aux cortès !!! Que de gens ont dû frémir à ce seul titre ! Quoi donc ! M. de Campuzano va-t-il expliquer ces fortunes scandaleuses, faites ou refaites depuis le commencement des troubles et la rentrée des émigrés en Espagne ? dire, pour la première fois, comment les ressources de l’Espagne, les emprunts forcés, les contributions extraordinaires de guerre, les anticipations sur tous les impôts, les ventes de biens nationaux, les inventions prodigieuses du génie financier de M. Mendizabal dans ses deux ministères, le non-paiement de la dette étrangère, la suspension du service de la dette intérieure, l’ajournement de tous les créanciers de l’état, pensionnaires, soldats invalides, veuves et orphelins des défenseurs de la patrie, officiers et soldats de l’ex-légion britannique, comment tous ces moyens, positifs ou négatifs, ont abouti à la plus entière détresse, à l’épuisement le plus complet, au dénuement de l’armée, à un dénuement qui a fait manquer cent fois des attaques commencées, des victoires promises sur don Carlos et ses lieutenans ? Mais non. Peut-être M. de Campuzano va-t-il dévoiler les intrigues ministérielles qui ont sans cesse affaibli le gouvernement constitutionnel de l’Espagne, la rivalité des généraux, les manœuvres ténébreuses auxquelles, du milieu de leur camp, ils se sont tous plus ou moins livrés ; tantôt sous l’influence d’un parti, tantôt sous celle d’un autre, en négligeant la seule chose qu’il y ait eu à faire en Espagne depuis le 1er octobre 1833, la poursuite et la soumission des carlistes ? Ou bien, dans un or-