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REVUE. — CHRONIQUE.

le patriotisme douteux et décoloré des Martinez de la Rosa, des Isturitz, des Galiano et autres proscrits, gens inhabiles à se ménager, par une dissimulation glorieuse, les moyens de mieux servir plus tard la liberté.

Le plan de M. de Campuzano est donc bien complet, comme vous le voyez, monsieur. Il embrasse l’état militaire, les finances, la politique extérieure. Je ne m’étonne plus, après cela, qu’il soit en ce moment désigné par la voix unanime des patriotes espagnols pour la présidence du conseil ; et ce sera bien de la modestie de sa part s’il consent à remettre le portefeuille des finances aux mains habiles et pures de M. Mendizabal ; et celui de la guerre à un général Narvaez, homme obscur, et qui paraît néanmoins fort en faveur auprès du parti exalté. Mais M. Calatrava ne reprendra point la direction des affaires et le ministère des relations extérieures. M. de Campuzano ne pourrait y renoncer sans trahir à la fois l’Espagne et l’Italie.

Vous dirai-je maintenant que cette œuvre de M. de Campuzano, dont nos journaux se montrent si émerveillés, a trouvé à Madrid même quelques détracteurs ? Vous dirai-je que, dans un article fort spirituel attribué à l’un des plus fidèles, des plus anciens et des plus éloquens défenseurs de la cause libérale en Espagne, on a le mauvais goût de tourner en ridicule et d’attaquer par le comique et par le sérieux la brochure de l’ex-ambassadeur ? Par exemple, dit-on, le comte de Rechen aurait dû donner à ce petit écrit un titre plus modeste que celui de la Vérité, titre que des esprits chagrins, des envieux, comme le mérite en fait toujours naître, pourraient accuser de trop promettre et de ne pas assez tenir. D’ailleurs, qu’est-ce que la vérité ? n’est-ce pas chose fort difficile à découvrir en tout temps, et bien de la vanité à M. de Campuzano de croire qu’elle se soit révélée à lui ? La vérité ! mais cela tient du prodige sous la plume d’un homme qui a des relations intimes avec M. Mendizabal. Et cependant on ajoute que le langage de notre auteur pourrait bien être la vérité même, puisqu’elle serait dans sa bouche, sur ces lèvres simples par lesquelles, suivant la sainte Écriture, la vérité aime à se manifester. On dit encore : C’est fort bien ; les conseils de M. de Campuzano sont excellens. Mais il est facile de crier aux gens : Soyez forts, et cela n’avance pas leurs affaires. C’est comme si l’on disait à un pauvre : Tout bien considéré, je vous conseille d’être riche ; et à un malade : Levez vous, marchez, portez-vous bien. Il est vrai sans doute que si nous avions des hommes et beaucoup d’argent, nous serions les plus forts, et que si nous étions les plus forts, les carlistes seraient vaincus. Mais il n’y a pas grand mérite à découvrir de ces vérités-là, que le La Palisse espagnol, le célèbre Perogrullo, avait trouvées bien long-temps avant M. de Campuzano. On va jusqu’à prétendre que l’écrit de l’ex-ambassadeur est quelque chose d’informe, qui ne ressemble à rien, où tous les sujets sont entassés pêle-mêle et sans art, dont le style est perpétuellement en guerre ouverte avec la syntaxe castillane et les règles de la grammaire générale, comme si la vérité avait besoin d’arrangement, d’ordre, de style et d’orthographe. Enfin, monsieur, on conteste même à M. de Campuzano ses prétentions au patriotisme, ses droits à passer pour libéral. En vain garde-t-il un silence prudent