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sur les plus belles années de sa vie, sur une période de temps qui embrasse depuis 1808 jusqu’à 1832. On lui demande ce qu’il a fait pendant tout ce temps-là pour la liberté de sa patrie, ce qu’il a souffert pour elle et s’il en a mérité la moindre reconnaissance. Or, avec cette impitoyable mémoire de l’esprit de parti, on le trouve malheureusement à Lisbonne auprès de don Miguel, en qualité d’ambassadeur de Ferdinand VII, sous le ministère abhorré de M. de Calomarde. On prétend qu’alors, dans cette haute position, il a certainement applaudi aux excès et aux violences tyranniques de l’usurpateur de la couronne du Portugal, si même il ne les a pas directement provoquées, ainsi que le portaient sans nul doute les instructions de Calomarde. Et ce malheureux nom de Calomarde revient sans cesse s’attacher, comme une flèche empoisonnée, au nom de M. de Campuzano, plus patriote aujourd’hui que tant de proscrits de la funeste décade (1823-1833), maintenant dépassés par les nouveaux convertis du libéralisme. Pour tout dire, en un mot, on accuse M. de Campuzano d’avoir attendu que Ferdinand VII fût bien mort, avant de proclamer ces opinions constitutionnelles dont il fait à présent un si pompeux étalage. Faut-il ajouter qu’on n’épargne pas à l’auteur de la Vérité les plaisanteries sur les grands airs de pénétration qu’il se donne à propos de l’empereur Napoléon et du roi des Français, ni les plus sérieux reproches sur les déclamations qu’il se permet contre le gouvernement actuel de la France ? Ne voyez-vous pas, imprudent, lui dit-on à Madrid, comme nous pourrions le lui dire nous-mêmes, que vos inutiles et injustes murmures découragent nos amis, enhardissent nos ennemis, font naître le ressentiment là où la haine que vous accusez n’existe pas, l’enveniment si elle existe, et de toute manière lui donnent des raisons à faire valoir, des fondemens sur quoi s’établir ?

C’est avec une véritable affliction, le mot n’est pas exagéré, que je vous ai parlé de la brochure de M. de Campuzano. Dans la crise effroyable où se débat l’Espagne, on ne peut voir sans douleur que de pareilles choses et de pareils hommes s’emparent de l’esprit public en ce malheureux pays ; car on n’est pas désabusé à Madrid, croyez-le bien, des déclamations et des ridicules promesses du parti exalté, dont M. de Campuzano est devenu le héros pour quelques jours. Demain peut-être, en ouvrant un journal espagnol, le premier nom qui frappera nos yeux, sera celui de M. de Campuzano, porté par une émeute à la tête des affaires. Tout est possible dans l’état d’agitation, dans la fièvre chaude qui transporte une bonne partie de l’Espagne. Et remarquez comme l’intrigue se remue au milieu de ce délire, comme les ambitions cherchent à se faire jour. La division est partout, la confiance nulle part. Ce qui permet de tout craindre, c’est que l’esprit de la garde nationale de Madrid et de la majorité de la bourgeoisie est assez mauvais, quoi qu’on en dise. Si je ne me trompe, les députés de Madrid aux cortès forment le noyau de l’opposition. Le conseil municipal et la députation provinciale, la commune et le département, comme on appelait ces deux corps électifs en 1792, n’appartiennent pas à l’opinion modérée, et cherchent à renverser le ministère du duc de Frias. Enfin, monsieur, je ne crois pas qu’on dût compter