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DE LA VIE DE JÉSUS.

même école, le livre de Josué n’est plus qu’un recueil de fragmens, composé après l’exil, selon l’esprit de la mythologie des lévites ; celui des Rois[1], un poème didactique ; celui d’Esther, une fiction romanesque, un conte imaginé sous les Séleucides. À l’égard des prophètes, la seconde partie d’Isaïe, depuis le chapitre XL, serait apocryphe, selon M. Gesenius lui-même[2]. D’après un critique non moins célèbre et que j’ai déjà cité, Ézéchiel, descendu de la poésie du passé à une prose lâche et traînante[3], aurait perdu le sens des symboles qu’il emploie ; dans ses prophéties, il ne faudrait voir que des amplifications littéraires. Le plus controversé de tous, Daniel est définitivement relégué par M. Lengerke dans l’époque des Machabées. Il y avait long-temps que l’on avait disputé à Salomon le livre des Proverbes et de l’Ecclésiaste ; par compensation, quelques-uns lui attribuent le livre de Job, que presque tous rejettent dans la dernière époque de la poésie hébraïque.

Ce court tableau, qu’il serait facile d’augmenter, suffit pour montrer comment chacun travaille isolément à détruire dans la tradition la partie qui le touche de plus près, sans s’apercevoir que toutes ces ruines se répondent. Au milieu même de cette universelle négation, l’on se donne le plaisir de se contredire mutuellement. Tel conseiller ecclésiastique qui nie l’authenticité de la Genèse, est réfuté par tel autre qui nie l’authenticité des prophètes. D’ailleurs, toute hypothèse se donne fièrement pour une vérité acquise à la science jusqu’à ce que l’hypothèse du lendemain renverse avec éclat celle de la veille. On dirait que, pour gage d’impartialité, chaque théologien se croit obligé, pour sa part, de jeter dans le gouffre une feuille des Écritures. Dans cette étrange ardeur des hommes d’église à sacrifier eux-mêmes le corps et la lettre de leur croyance, n’y a-t-il pas quelque chose qui rappelle cette nuit de la Constituante où chacun venait brûler ses lettres de noblesse ?

Au reste, si tel a été le trouble apporté par la critique allemande dans les livres de l’Ancien Testament, on peut facilement penser

  1. De Wette, introduction, Der Levitische Geist der Mythologie, pag. 219. Lehrgedicht, pag. 233.
  2. Il regarde aussi comme apocryphes, dans la première partie d’Isaïe, les chap.  13, 14, 21, 24-27, 34, 35. Ces fragmens sont, suivant lui, postérieurs à la mort du prophète, et appartiennent aux derniers temps de la captivité. Voyez Gesenius, Commentaire sur Ésaïe, pag. 16, et tom. II, passim.
  3. De Wette, Introduction à l’histoire et à la critique des livres canoniques et apocryphes de l’Ancien Testament (1833), pag. 283. Niedrigen, matten prosa. — Voyez aussi Gesenius, Introduction à Isaïe, pag. 7, Vision prosaïque d’Ézéchiel.