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DE LA VIE DE JÉSUS.

de la terre, qu’il me faudrait toujours supposer quelque part une impulsion toute-puissante vers le temps des empereurs romains. Lorsque M. Strauss dit à cet égard : « Nous regardons l’invention de l’horloge marine et des vaisseaux à vapeur comme au-dessus de la guérison de quelques malades de Galilée, » il est visible qu’il est la dupe de son propre raisonnement ; car enfin il sait bien, comme moi, que le miracle du christianisme n’est pas dans cette guérison, mais bien plutôt dans le prodige de l’humanité étendue sur son grabat, puis guérie du mal de l’esclavage, de la lèpre des castes, de l’aveuglement de la sensualité païenne, et qui, subitement, se lève et marche loin du seuil du vieux monde. Il sait bien que le prodige n’est pas tout entier dans l’eau changée en vin aux noces de Cana, mais plutôt dans le changement du monde par une seule pensée, dans la transfiguration soudaine de l’ancienne loi, dans le dépouillement du vieil homme, dans l’empire des Césars frappé de stupeur comme les soldats du sépulcre, dans les barbares dominés par le dogme qu’ils ont vaincu, dans la réforme qui le discute, dans la philosophie qui le nie, dans la révolution française qui croit le tuer et ne sert qu’à le réaliser. Voilà les miracles qu’il fallait comparer à ceux de l’astrolabe et de l’aiguille aimantée.

Quoi ! cette incomparable originalité du Christ ne serait rien qu’une perpétuelle imitation du passé, et le personnage le plus neuf de l’histoire aurait été perpétuellement occupé à se former, ou, comme quelques personnes le disent aujourd’hui, à se poser d’après les figures des anciens prophètes ! On a beau objecter que les évangélistes se contredisent fréquemment les uns les autres, il faut avouer, à la fin, que ces contradictions ne portent que sur des circonstances accessoires, et que ces mêmes écrivains s’accordent en tout sur le caractère même de Jésus-Christ. Je sais bien un moyen sans réplique pour prouver que cette figure n’est qu’une invention incohérente de l’esprit de l’homme. Il consisterait à montrer que celui qui est chaste et humble de cœur selon saint Jean, est impudique et colère selon saint Luc ; que ses promesses, qui sont spirituelles selon saint Matthieu, sont temporelles selon saint Marc. Mais c’est là ce que l’on n’a point encore tenté de faire, et l’unité de cette vie est la seule chose que l’on n’ait pas disputée. Sans nous arrêter à cette observation, accepterons-nous, pour tout expliquer, la tradition populaire, c’est-à-dire le mélange le plus confus que l’histoire ait jamais laissé paraître, un chaos d’Hébreux, de Grecs, de Syriens, d’Égyptiens, de Romains, de grammairiens d’Alexandrie, de scribes de Jérusalem, d’Esséniens, de