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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/647

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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

Où, fatigué du monde, il veut, libre du moins ;
Et jouir de lui-même, et rêver sans témoins ;
Alors je reviendrai, Solitude tranquille,
Oublier dans ton sein les ennuis de la ville,
Et retrouver encor, sous ces lambris déserts,
Les mêmes sentimens retracés dans ces vers.

De tels vers, pour la couleur mélancolique à la fois et transparente, étaient dignes contemporains des belles pages des Études de la Nature.

Le Jour des Morts offre plus de composition que la Chartreuse ; c’est moins une méditation, une rêverie, et davantage un tableau. Il dut plaire plus vivement peut-être aux contemporains ; il a plus passé aujourd’hui. Le XVIIIe siècle y a jeté de ses couleurs de convention. Ce curé de village, rustique Fénelon, qu’on n’ose pas appeler curé, et qui n’est que pasteur, mortel respecté, homme sacré, ce prêtre ami des lois et zélé sans abus, qui n’ose faire parler la colère céleste contre le mal, et qui ne sait qu’adoucir la tristesse par l’espérance, est un de ces chrétiens comme on aimait à se les figurer à la date de la Chaumière indienne. On se demande si le poète partage absolument l’esprit du spectacle qu’il nous retrace avec tant d’émotion. À un endroit de la première version du Jour des Morts, il était question de destin. Plus d’un vers reste en désaccord avec le dogme ; ainsi, lorsqu’il s’agit, d’après Gray, de ces morts obscurs, de ces Turenne peut-être et de ces Corneille inconnus :

Eh bien ! si de la foule autrefois séparé,
Illustre dans les camps ou sublime au théâtre,
Son nom charmait encor l’univers idolâtre,
Aujourd’hui son sommeil en serait-il plus doux ?

dernier vers charmant, imité de La Fontaine avant sa conversion, mais depuis quand la mort, pour le chrétien est-elle un doux sommeil, et le cercueil un oreiller ? En somme, la religion du Jour des Morts est une religion toute d’imagination, de sensibilité, d’attendrissement (le mot revient sans cesse) ; c’est un christianisme affectueux et flatté, à l’usage du XVIIIe siècle, de ce temps même où l’abbé Poulle, en chaire, ne désignait guère Jésus-Christ que comme le législateur des chrétiens. Ici, ce mode d’inspiration, plus acceptable chez un poète, cette onction sans grande foi, et pourtant sincère, s’exhale à chaque vers, mais elle se déclare surtout admirablement dans le beau morceau de la pièce au moment de l’élévation pendant le sacrifice :