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cause raisonnable, et entre autres les croisades ; voilà, selon Voltaire, le spectacle qu’offre le moyen-âge.

Comme dans la Pucelle il s’était promis, à en croire sa lettre à M. de Formont, de donner carrière à son imagination, c’est là surtout qu’il s’est livré sans réserve à l’attrait de son esprit et à son goût de dénigrement contre le passé. C’est là qu’il a pris plaisir à démolir pierre à pierre l’ordre social du moyen-âge ; c’est là qu’il a attaqué sans pitié, l’un après l’autre, les principes et les sentimens que respectait le moyen-âge ; heureux si, dans cette démolition des principes de l’ancien ordre social, il n’avait pas rencontré et renversé quelques-uns des principes nécessaires au salut de la société. La société humaine a des formes périssables et passagères qu’on peut livrer sans regret à la critique des philosophes et à la ferveur destructrice des novateurs ; mais, sous ces formes destinées au changement, il y a des principes éternels qui sont le fondement de la société et qui font sa vie. Dans son impétuosité, Voltaire attaque en même temps les maximes passagères d’une époque et les maximes éternelles de l’ordre social. L’esprit, et ce que j’appellerais la philosophie de la Pucelle, ne ruine pas seulement le moyen-âge ; il ruine la société elle-même et la rend impossible.

Voyons comment Voltaire, dans la Pucelle, détruit tour à tour les principes du moyen-âge, et les principes de l’ordre social, ce qui est pire.

Le principe politique du moyen-âge, c’est la féodalité ; et le nom poétique de la féodalité, c’est la chevalerie. La chevalerie est l’idéal de la féodalité ; c’est la féodalité élevée à son type de perfection, et par conséquent la féodalité telle que les romans seuls la connaissent. Jusqu’à Voltaire, la chevalerie était chère aux poètes ; l’Arioste l’avait respectée, il l’avait rendue plus fabuleuse et plus amusante que jamais ; mais il n’avait pas osé la rendre ridicule ; et dans Voltaire lui-même, vous savez quel éclat les souvenirs de la chevalerie donnent à Zaïre et à Tancrède. Eh bien ! comment, dans la Pucelle, Voltaire traite-t-il la chevalerie ? À chaque instant il arrive à ses chevaliers quelque mésaventure grotesque. Tout ce qui, dans les chevaliers, avait jusque-là inspiré l’intérêt, qui même, dans les romans de Scudéry et de la Calprenède, plaisait encore à Mme de Sévigné, les grands coups de lance et les beaux coups d’épée, tout cela est bafoué, ridiculisé, caricaturé à plaisir dans la Pucelle. Voyez le combat de la Trémouille et de Christophe d’Arondel :

Voilà déjà nos braves paladins