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avantages de la discipline ecclésiastique et de la discipline militaire, et Érasme donne la supériorité au chartreux sur l’homme d’armes : le chartreux est l’homme spirituel et de bonne compagnie ; le gendarme, j’allais presque dire le chevalier, n’est qu’un officier de fortune, ignorant, grossier et brutal.

Dans la Pucelle, le patriotisme est-il mieux traité que la chevalerie ? Non.

Il y a dans ce poème une prédilection pour les Anglais qui me choque, non que je veuille qu’on prône en toute occasion la valeur de nos guerriers et la beauté de nos dames ; je renvoie ces fadeurs aux vaudevilles. Cependant je n’aime pas non plus qu’on fasse toujours si bon marché de la France. S’agit-il de beauté dans la Pucelle, ce sont les Anglaises qui sont les belles. S’agit-il de bravoure, ce sont les Anglais qui sont les braves. Si Voltaire sacrifie lestement sa patrie à l’Angleterre, c’est que Voltaire voyait chez les Anglais du XVe siècle les Anglais du XVIIIe siècle ; c’est que, pendant son exil, il avait été reçu et fêté à Londres ; c’est qu’il avait pu y penser librement et y écrire contre la religion. C’est là qu’il avait fait son éducation irréligieuse ; de là sa reconnaissance qui, remontant du XVIIIe au XVe siècle, donne aux Anglais le beau rôle, le rôle des guerriers victorieux et des amans préférés ; il leur donne aussi, voulant tout-à-fait les traiter en amis, un petit grain d’irréligion et d’impiété, afin que rien ne manque à leur perfection.

Voilà déjà la chevalerie et le patriotisme immolés dans la Pucelle. Il est un autre principe, un autre sentiment encore plus cher au moyen-âge, et qui devait encore moins trouver grace devant Voltaire ; c’est la religion. Le poème tout entier est dirigé contre la religion, et je n’en suis point étonné. Comment, en effet, avec les idées de Voltaire et sa haine contre la religion, comment supporter le personnage d’une sainte fille inspirée par Dieu pour la délivrance de sa patrie ? Cette union de la foi et de l’amour de la patrie avait de quoi séduire les ames. Il fallait donc à tout prix faire de Jeanne d’Arc une grossière héroïne, une paysanne fanatique et crédule ; il fallait à tout prix enlaidir cette pure et noble figure de Jeanne d’Arc sauvant la France au nom de Dieu ! De là cette perpétuelle dérision et des saints et du paradis et de l’enfer ; de là cette triviale caricature du merveilleux chrétien. Peut-être aussi bien Voltaire avait-il de la rancune contre le merveilleux chrétien. Dans la Henriade, il avait essayé du merveilleux chrétien qui l’avait fort mal inspiré. Rien n’est si froid que le merveilleux de son poème sérieux ; il le sentait sans