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où l’élégance supplée à la pureté ; où la grace remplace la décence ! Où sont ces baisers de sœur que la Salmacis d’Ovide demande au jeune hermaphrodite ?

Poscenti nymphæ, sine fine sororia saltem
Oscula, jamque manus ad eburnea colla ferenti
.

Et prenez-y garde ! Ce n’est pas même au nom de la morale que je condamne ces honteuses inventions. Voltaire veut être poète libertin : qu’il le soit ; mais pour l’honneur des soupers du Temple dont il a été long-temps le commensal, pour l’honneur de Chaulieu dont il s’est dit l’élève dans sa jeunesse, qu’il garde au moins quelque élégance dans la débauche, quelque bon goût dans le libertinage. Permettons le vice ; mais arrière l’ordure et la saleté !

Fatal ascendant de l’esprit de dénigrement et d’ironie ! La peinture de la volupté même en souffre, Voltaire ne sait plus la décrire ; il la dégrade, il la profane ; elle devient triviale et laide. Son imagination gâtée et pervertie salit et défigure tous les personnages qu’elle touche ; le vice même y perd. Que sera-ce de la vertu ? Que sera-ce de ces personnages nobles, gracieux et purs, que l’histoire lui a donnés ? Que deviennent-ils entre ses mains ? Hélas ! à peine touchés par la baguette de cet enchanteur impur, ils se rapetissent, ils s’abaissent. Image pour ainsi dire de l’enfer de Milton, où les anges déchus, dès qu’ils entrent dans le fatal pandemonium, se rapetissent et se métamorphosent, tout à l’heure encore anges de lumière, et gardant toute leur grace et leur beauté, maintenant reptiles impurs qui rampent sur le sol. Voilà ce que deviennent, dans le poème de Voltaire, les plus purs et les plus gracieux personnages de notre histoire. Il prend notre Jeanne d’Arc, que Villon, cet enfant des ruisseaux de Paris, a chantée avec respect, lui qui a respecté si peu de choses, et à qui il a donné la beauté pour la récompenser de sa vertu :

Et Jeanne la belle Lorraine,
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen ;


il prend Jeanne d’Arc, et il écrase à plaisir, sous le masque d’une grossière paysanne, la sainte et noble figure de notre héroïne ; il prend Agnès Sorel dont François Ier a chanté la beauté et le courage, Agnès Sorel qui tient place dans le roman de notre délivrance, et il en fait je ne sais quelle prostituée qui passe de mains en mains. Dunois est un chevalier malencontreux, la Trémouille une dupe qui court sottement après Dorothée, Charles VII un prince dépouillé de