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THÉÂTRE FRANÇAIS.

en répond. Avant tout, la poésie est là, qui veille, cette rose empoisonnée dont parle Shakspeare, et dont le parfum ne s’échappe qu’avec crainte, modestie et honnêteté ; voilà pourquoi une enfant de seize ans, quand elle s’appelle Rachel, peut jouer Roxane.

Pour citer un exemple entre autres, quelques journaux ont remarqué ce vers :

Je plaignis Bajazet, je lui vantai ses charmes.
Ils ont appuyé sur le sens de ces mots, et ils les ont trouvés très licencieux, Que peut-on entendre, disent-ils, par les charmes d’un homme ? Eh ! mon Dieu ! Racine, à coup sûr, n’entendait par là que la beauté du visage, la grace des manières, la douceur du langage, qui peuvent appartenir à un homme aussi bien qu’à une femme. Et depuis quand, en effet, le mot charmes veut-il dire autre chose ? Dieu sait quelle rougeur eût monté au front du poète, si on avait cherché devant lui une interprétation obscène à son vers ! Mais que voulez-vous ? du temps de Racine, Robert Macaire n’existait pas.

Pour me servir de ce mot qu’on dénature, et qui n’en vaut pas moins pour cela, je dirai que Mlle Rachel a rempli son rôle avec un charme inimitable, Si ce rôle était son premier début, la critique n’aurait pas assez d’éloges, d’épithètes pompeuses, de phrases louangeuses, pour rendre compte de la représentation de Bajazet. Dans quel étonnement ne serions-nous pas, dans quel enthousiasme ! Mais c’est le sixième rôle qu’elle joue, et voilà comme nous sommes à Paris ; nous aurions voulu autre chose que Mlle Rachel elle-même ; nous connaissons cette grande manière de dire, ces gestes rares, frappans, ce regard profond, cette prodigieuse intelligence, de notre jeune artiste ; nous les admirions hier, nous les aimions, et tout cela nous allait au cœur. Mais aujourd’hui, nous avons mal dîné, et nous voudrions du nouveau. Au lieu de cette énergie, nous voudrions de la tendresse ; au lieu de cette sobriété, du désordre, et que l’actrice surtout fût plus grande. Voilà comme on juge, du moins dans les journaux ; car, Dieu merci, le public n’est pas le moins du monde de cet avis ; il est venu à la seconde représentation comme il était venu à la première, comme il ira à la troisième ; il a vingt fois interrompu l’actrice par ces murmures involontaires que ne peut retenir une foule émue, et qui sont les vrais applaudissemens. En un mot, Roxane a été l’un des plus beaux triomphes de Mlle Rachel.

Pourquoi quelques journaux veulent-ils nier ce triomphe ? J’ai dit que je n’en savais rien, et s’il m’était permis de le leur demander, voici comment je m’exprimerais :

Mais enfin, dites-moi, messieurs, pourquoi la chagrinez-vous ? Elle a fait ce qu’elle a pu, et ce que nulle autre qu’elle, assurément, ne pourrait faire. Puisque vous dites qu’il faut pour ce rôle des femmes de trente ans, amenez-en donc, et que nous leur entendions dire :