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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

primitives de la race germanique firent leur émigration d’Asie en Europe, par les rives du Pont-Euxin. Du reste, il y avait, sur ce point, unanimité de sentiment ; les clercs et les moines les plus lettrés, ceux qui pouvaient lire Grégoire de Tours et les livres des anciens, partageaient la conviction populaire, et vénéraient, comme fondateur et premier roi de la nation française, Francion, fils d’Hector[1].

Quant à l’opinion relative aux institutions sociales, à leurs commencemens, à leur nature, à leurs conditions nécessaires, elle était loin d’être, à ce degré, simple et universelle. Chacune des classes de la population, fortement distincte des autres, avait ses traditions politiques, et pour ainsi dire, son système à part, système confus, incomplet, en grande partie erroné, mais ayant une sorte de vie, à cause des passions dont il était empreint et des sentimens de rivalité ou de haine mutuelle qui s’y ralliaient. La noblesse conservait la notion vague et mal formulée d’une conquête territoriale faite jadis, à profit commun, par les rois et par ses aïeux, et d’un grand partage de domaines acquis par le droit de l’épée. Ce souvenir d’un évènement réel était rendu fabuleux par la fausse couleur et la fausse date prêtées à l’évènement. Ce n’était plus l’intrusion d’un peuple barbare au sein d’un pays civilisé, mais une conquête douée de tous les caractères de grandeur et de légitimité que concevait le moyen-âge, faite, non sur des chrétiens par une nation païenne, mais sur des mécréans par une armée de fidèles, suite et couronnement des victoires de Charles Martel, de Pépin et de Charlemagne sur les Sarrasins et d’autres peuples ennemis de la foi[2]. Au XIIe siècle, et plusieurs siècles après, les barons et les gentilshommes plaçaient là l’origine des fiefs et des priviléges seigneuriaux. Ils croyaient, selon une vieille formule de leur opinion traditionnelle, qu’après avoir purgé la France des nations barbares qui l’habitaient, Charlemagne donna toutes les terres du pays à ses compagnons d’armes, à l’un mille arpens, à l’autre deux mille, et au reste plus ou moins, à charge de foi et d’hommage[3].

À cette tradition de conquête et de partage se joignait une tradition de jalousie haineuse contre le clergé, qui, disait-on, s’était glissé, d’une manière furtive, parmi les conquérans et avait ainsi usurpé une part de possessions et d’honneurs. La rivalité du baron-

  1. Chroniques de Saint-Denis, dans le Recueil des Historiens de la France et des Gaules, tome III, pag. 155.
  2. Histoire générale des rois de France par Bernard de Girard, seigneur du Haillan, édition de 1576, tome I, pag. 229.
  3. Ibid.