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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

un certain nombre de savans et à laquelle les circonstances vinrent bientôt donner la faveur publique et une sorte de règne passager.

L’ère de calme et d’unité qui commence avec les belles années du règne de Louis XIV vit l’esprit de lutte politique s’éteindre à l’intérieur, et toutes les passions sociales se porter au dehors et s’unir dans un but commun, l’agrandissement du territoire français et la fixation de ses limites. Le gouvernement, tel que l’avaient fait le temps et les circonstances, fut accepté franchement par tous les partis et toutes les classes de la nation ; il y eut dans les ames très peu de susceptibilité quant aux bornes du pouvoir et aux conditions de l’obéissance, mais en revanche une grande délicatesse sur le point d’honneur national. Ce sentiment public, dont l’influence s’étendit jusqu’à l’histoire, mit en vogue, d’une manière presque subite, le système qui, reniant pour la France toute tradition de conquête étrangère, faisait de la monarchie franke sur le sol de la Gaule, un gouvernement indigène. L’opinion suivant laquelle les Franks et les Gaulois étaient des compatriotes, long-temps séparés, puis réunis en un seul peuple, opinion émise pour la première fois au XVIe siècle, avait deux formes ou variantes. L’une remontait jusqu’au IVe siècle avant notre ère et à l’émigration de Sigovèse et de Bellovèse, l’autre s’arrêtait à des temps plus récens et à une prétendue émigration, sans date précise, de quelques peuplades gauloises amoureuses de la liberté et fatiguées du joug romain[1]. Plusieurs savans et demi-savans, depuis l’année 1660, s’appliquèrent à étayer de nouvelles démonstrations et à développer, avec plus ou moins d’emphase patriotique, ces conjectures sans fondement, devenues tout d’un coup populaires.

« La Gaule ne peut être considérée comme un pays de conquête, « mais comme ayant été perpétuellement possédée par ses naturels habitans, » dit l’auteur encore estimé d’un volumineux traité des fiefs[2], et il établit cette assertion sur les données suivantes : que les Franks, Gaulois d’origine, qui avaient passé le Rhin, repassèrent le même fleuve, soit pour trouver de nouvelles habitations, soit pour délivrer leurs frères les Gaulois de la servitude des Romains ; qu’en moins de quarante ans ils chassèrent les Romains de la Gaule, et que le peu de résistance qu’ils éprouvèrent de la part des indigènes donne lieu de croire que cette entreprise n’avait pas été faite sans leur participation ; qu’ainsi, au Ve siècle, il n’y eut conquête pour la Gaule

  1. Voyez Mézeray, Abrégé chronologique de l’histoire de France, tome I, page 293.
  2. Chantereau-le-Fève, mort en 1658, son livre fut publié en 1662.