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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/758

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courtois, généreux et même prodigues à l’égal des gentilshommes[1]. Cet ordre d’idées et de faits le conduit, par une pente naturelle, à s’attacher exclusivement aux restes de la civilisation romaine, comme à la seule base de notre histoire nationale ; il est impossible de faire une abstraction plus complète et plus dédaigneuse de ce qu’il y eut de germanique dans les vieilles institutions et les vieilles mœurs de la France. Les prétentions de la noblesse à l’héritage des Francs sont, de sa part, l’objet de plaisanteries, souvent plus aigres que fines, sur le camp de Mérovée d’où les gentilshommes de nom et d’armes s’imaginent être sortis. Parfois même, quelque chose de triste vient se mêler, d’une façon étrange, au burlesque de l’expression, et, dans les invectives du pamphlétaire du XVIIIe siècle, on croit entendre la voix et les regrets d’un descendant des Syagrius et des Apollinaires : « Je passe avec douleur, dit-il, à ce déluge de barbares français qui inonda la malheureuse Gaule, qui renversa les lois romaines, lesquelles gouvernaient les habitans selon les principes de l’humanité et de la justice, qui y établit en leur place l’ignorance, l’avarice et la cruauté barbaresque. Quelle désolation pour les campagnes et les bourgades de ce pays d’y voir exercer la justice par un caporal barbare, à la place d’un décurion romain !…[2]. »

Mais ces ressentimens de la bourgeoisie qui s’échappaient ainsi en saillies plus ou moins vives, plus ou moins piquantes, couvaient silencieusement dans l’ame d’un homme d’un talent mûr, d’un esprit subtil et réfléchi. Jean-Baptiste Dubos, secrétaire perpétuel de l’Académie française, célèbre alors comme littérateur et comme publiciste, entreprit non-seulement d’abattre le système historique de Boulainvillers, mais encore d’extirper la racine de tout système fondé pareillement sur la distinction des vainqueurs et des vaincus de la Gaule. C’est dans ce but qu’il composa le plus grand ouvrage qui, jusqu’alors, eût été fait sur les origines de l’histoire de France, un livre encore lu de nos jours avec profit et intérêt, l’Histoire critique de l’établissement de la monarchie française dans les Gaules[3]. L’esprit de ce livre, où un immense appareil d’érudition sert d’échafaudage à un argument logique, peut se formuler en très peu de mots et se réduire aux assertions suivantes : « La conquête de la Gaule par les Francs est une illusion historique. Les Francs sont venus

  1. Lettre d’un Conseiller du parlement de Rouen au sujet d’un écrit du comte de Boulainvillers, tom. IX, pag. 203, 220, 221, 224, 229, 231,235, 236, 248, 249, 251.
  2. Ibid., pag. 253.
  3. La première édition parut en 1734, la seconde en 1742.