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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

sortes : les uns étaient de la confédération armorique, et avaient chassé les officiers de l’empereur pour se défendre eux-mêmes contre les Barbares et se gouverner par leurs propres lois ; les autres obéissaient aux officiers romains. Or, M. l’abbé Dubos prouve-t-il que les Romains, qui étaient encore soumis à l’empire, aient appelé Clovis ? Point du tout. Prouve-t-il que la république des Armoriques ait appelé Clovis et fait même quelque traité avec lui ? Point du tout encore. Bien loin qu’il puisse nous dire quelle fut la destinée de cette république, il n’en saurait pas même montrer l’existence, et quoiqu’il la suive depuis le temps d’Honorius jusqu’à la conquête de Clovis, quoiqu’il y rapporte avec un art admirable tous les évènemens de ces temps-là, elle est restée invisible dans les auteurs[1]… »

« Les Francs étaient donc les meilleurs amis des Romains, eux qui leur firent, eux qui en reçurent des maux effroyables ? Les Francs étaient amis des Romains, eux qui, après les avoir assujettis par leurs armes, les opprimèrent de sang-froid par leurs lois ? Ils étaient amis des Romains, comme les Tartares qui conquirent la Chine étaient amis des Chinois. Si quelques évêques catholiques ont voulu se servir des Francs pour détruire des rois ariens, s’ensuit-il qu’ils aient désiré de vivre sous des peuples barbares ? En peut-on conclure que les Francs eussent des égards particuliers pour les Romains[2] ?… Les Francs n’ont point voulu et n’ont pas même pu tout changer, et même peu de vainqueurs ont eu cette manie. Mais pour que toutes les conséquences de M. l’abbé Dubos fussent vraies, il aurait fallu que non-seulement ils n’eussent rien changé chez les Romains, mais encore qu’ils se fussent changés eux-mêmes[3]… »

Quelle vivacité de style, quelle verve de raison et quelle fermeté de vue ! Le fait de la conquête a repris sa place, il est là, donné dans sa vraie mesure, avec sa véritable couleur, avec ses conséquences politiques. En le posant comme un point inébranlable, le grand publiciste a élevé une barrière contre la confusion introduite par le système de Dubos entre tous les élémens de notre histoire ; mais lui-même ébranle son œuvre, et, dans un moment d’inadvertance, il fait une brèche par laquelle cette confusion devait rentrer sous d’autres formes. Pour cela, il lui suffit de quelques lignes dans lesquelles

  1. Esprit des Lois, liv. XXX, chap. XXIV.
  2. Ibid., liv. XXVIII, chap. III.
  3. Ibid., liv. XXX, chap. XXIV.