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cun acte public, ni en Gaule, ni en Espagne, ni dans l’Italie lombarde, ne leur donna le nom collectif de peuple romain. Ce nom, restreint aux habitans de Rome et du duché de Rome, fut, dans la langue diplomatique du moyen-âge, une appellation spéciale, et comme un dernier titre de noblesse, pour les citoyens de la ville éternelle.

Les trois livres de l’Esprit des Lois où Montesquieu a jeté, avec tant de puissance, mais d’une manière si capricieuse et si désordonnée, ses vues sur l’origine de nos institutions nationales contiennent, parmi beaucoup d’aperçus fins et de solutions vraies, plus d’une erreur de ce genre[1]. Celle-là, introduite dans la science grace à un tel patronage, et placée désormais hors de la sphère du doute, devint la pierre angulaire d’un nouveau système qui, par une sorte de tour d’adresse, fit voir au tiers-état ses ancêtres ou ses représentans, dès le berceau de la monarchie, siégeant dans les grandes assemblées politiques, ayant part à tous les droits de la souveraineté. C’est la théorie historique à laquelle l’abbé de Mably attacha son nom, et qui prit faveur dans la dernière moitié du XVIIIe siècle. Je me hâte d’arriver à ce nom célèbre parmi les historiens dogmatiques de nos origines et de nos lois, et je néglige quelques écrits où ne manquent ni le savoir, ni le talent, mais qui n’influèrent en rien sur ce qu’on pourrait appeler le courant des croyances publiques. Le plus considérable, celui du comte du Buat, intitulé les Origines[2] est un ouvrage confusément mêlé de faux et de vrai, sans méthode, sans chronologie, sans intelligence des textes, et, malgré cela, remarquable par un certain sentiment de l’étendue et de la variété des questions à résoudre, par une grande liberté d’esprit, par les efforts que l’auteur fait, à l’aide d’une érudition puisée Allemagne, pour se détacher des préjugés historiques qu’entretenaient, dans la France d’alors, la puissance des vieilles institutions et la force des habitudes nationales.


Augustin Thierry.
(La suite à la prochaine livraison.)
  1. Voyez Esprit des Lois, livres XXVIII, XXX et XXXI.
  2. Les origines de l’ancien gouvernement de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, 1757. On peut joindre à ce livre les deux suivans, dont le second est de beaucoup le meilleur : Traité de l’origine du gouvernement français, par l’abbé Garnier, 1765 ; Quel fut l’état des personnes en France sous la première et la deuxième race de nos rois ? par l’abbé de Gourcy (Mémoire couronné par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres) 1768.