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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

étendait à plaisir, et lui-même proposa deux fois à la signature de l’empereur la nomination de M. Arnault, assez peu reconnaissant : « Ah ! c’est vous, vous, Fontanes, qui me proposez la nomination d’Arnault, fit l’empereur à la seconde insistance ; allons, à la bonne heure[1] ! » Quand M. Frayssinous vit interdire ses conférences de Saint-Sulpice, et se trouva momentanément sans ressources, M. de Fontanes, sur la demande d’une personne amie, le nomma aussitôt inspecteur de l’Académie de Paris. Sa générosité n’eut pas même l’idée qu’il pût y avoir inconvénient pour lui-même à venir ainsi en aide à ceux que l’empereur frappait. La vie de M. de Fontanes est pleine de ces traits, et cela rachète amplement quelques faiblesses publiques d’un langage, lequel encore, si l’on veut bien se reporter au temps, eut toujours ses réserves et sa décence.

    tion ; cette France bigarrée, sans unité de lois et d’administration, étant plutôt une réunion de vingt royaumes qu’un seul état ; de sorte qu’on respire en arrivant à l’époque où l’on a joui des bienfaits dus à l’unité de lois, d’administration et de territoire. Il faut que la faiblesse constante du gouvernement sous Louis XIV même, sous Louis XV et sous Louis XVI, inspire le besoin de soutenir l’ouvrage nouvellement accompli et la prépondérance acquise. Il faut que le rétablissement du culte et des autels inspire la crainte de l’influence d’un prêtre étranger ou d’un confesseur ambitieux, qui pourraient parvenir à détruire le repos de la France.

    « Il n’y a pas de travail plus important. Chaque passion, chaque parti, peuvent produire de longs écrits pour égarer l’opinion ; mais un ouvrage tel que Velly, tel que l’Abrégé chronologique du président Hénault, ne doivent avoir qu’un seul continuateur. Lorsque cet ouvrage, bien fait et écrit dans une bonne direction, aura paru, personne n’aura la volonté et la patience d’en faire un autre, surtout quand, loin d’être encouragé par la police, on sera découragé par elle. — L’opinion exprimée par le ministre, et qui, si elle était suivie, abandonnerait un tel travail à l’industrie particulière et aux spéculations de quelques libraires, n’est pas bonne et ne pourrait produire que des résultats fâcheux.

    « Quant à l’individu qui se présente, la seule question à examiner consiste à savoir s’il a le talent nécessaire, s’il a un bon esprit et si l’on peut compter sur les sentimens qui guideraient ses recherches et conduiraient sa plume. »

    Tout ce qu’il y a de profondément vrai et de radicalement faux dans cette note mémorable serait matière à longue méditation. Napoléon décrète l’esprit de l’histoire ; c’est heureux qu’il ne décrète pas aussi le talent et la capacité de l’historien. Qu’en dirait Tacite ? Il faut… il faut… Ce Tacite aurait été découragé par la police. On a souvent cité une réponse de Napoléon à Fontanes, quand celui-ci recommandait un jeune homme de haute promesse, en disant : « C’est un beau talent dans un si beau nom. » — « Eh ! pour Dieu ! monsieur de Fontanes, aurait reparti Napoléon, laissez-nous au moins la république des lettres ! » Je ne sais si le mot a été dit ; il a été mainte fois répété, et avec variantes : ce sont de ces citations commodes. Mais de quel côté donc (cela fait sourire) la république des lettres était-elle en danger, je vous en prie ?

  1. M. Arnault, conseiller de l’université et à la fois secrétaire du conseil, fut à même de desservir de très près le grand-maître et de prêter secours sous main à la résistance de Fourcroy. Il faut dire pourtant que, dans les cent jours, devenu président du conseil, il se conduisit bien et avec égards pour les amis de M. de Fontanes dans l’université. Il a parlé de lui, un peu du bout des lèvres, mais avec convenance, dans ses Souvenirs d’un Sexagénaire, tom. I, pag. 291-292.