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garanties de sécurité pour l’avenir. S’ils tombent malades, le médecin les visite gratuitement ; s’ils sont hors d’état de travailler, la caisse des pauvres vient à leur secours. Une loi d’équité les gouverne dans leurs jours de travaux, une loi de bienfaisance les soutient dans leurs jours d’inquiétude. Ce sont ces sages institutions qui les retiennent dans leur devoir et les attachent à l’établissement.

Nous partîmes de Kaafiord avec une barque à voiles du pays et cinq rameurs. C’était le soir, une teinte de lumière plus douce s’étendait sur le paysage. Des flocons de vapeur, mêlés à la fumée de la fonderie, enveloppaient les mines que nous avions visitées le matin. À travers ces nuages flottans on distinguait la chapelle en bois, bâtie au-dessus de l’eau, à la pointe du rocher, comme celle de Guillaume Tell ; çà et là quelques pins élevant leur tête arrondie au milieu des habitations d’ouvriers, au bas le golfe bleu et limpide, et dans le fond, trois montagnes de neige serrées, fermant comme un rempart inaccessible cette enceinte pittoresque.

Une brise fraîche avait enflé la grande voile carrée de notre embarcation, et en voyant fuir derrière nous le sommet des îles et la pointe des promontoires, nous calculions déjà l’heure à laquelle nous aborderions dans le port de Hammerfest. Mais bientôt la brise tomba, la mer s’aplanit, la voile se reploya sur le mât qui la soutenait, et nos rameurs prirent leurs avirons. Notre marche était moins rapide, mais elle était charmante. À minuit le soleil brillait encore à l’horizon ; de grands jets de lumière couraient sur les vagues comme une fusée, et la mer, où le dernier souffle de la brise venait de s’endormir, était çà et là blanche comme l’acier, rouge comme la lame de cuivre qui sort de la fournaise, verte comme l’herbe des champs. C’était la nuit, mais une nuit semblable à une aurore de printemps. L’éder au plumage brun courait encore sur la grève, le goéland se berçait dans le sillage argenté de notre barque, et les algues du rivage élevaient leur tête humide au-dessus de l’eau comme pour aspirer un rayon bienfaisant de lumière. Nous passions entre des montagnes aux pointes aiguës, fortement tranchées, les unes arrondies à leur sommité comme une tour, d’autres portant une crête allongée et crénelée comme un rempart, et de temps à autre une barque laponne glissait à côté de nous, comme pour nous apprendre qu’entre les baies dont nous ne voyions pas le fond, il y avait des hommes, et sur les rocs nus, des habitations.

Au bout de la grève, nous en apercevons une et nous dirigeons notre barque de ce côté. Ce n’est pas une maison, c’est une espèce de tanière informe, surchargée de terre et de touffes de gazon. Elle est située au pied d’un roc aigu qui la menace chaque jour d’un éboulement de pierres ou d’une avalanche, et l’on n’y arrive qu’à travers une longue couche de fucus glissans. À l’intérieur, le sol est nu, les murailles nues. On ne voit ni chaises, ni tables, ni meubles. Deux pierres posées au milieu de cette sombre enceinte servent de foyer ; un peu de paille et quelques peaux étendues sur la terre humide servent de lit. Un homme portant une blouse de laine grise et de grandes bottes de pêcheur est à la porte ; c’est le propriétaire de cette habi-