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LE COMMERCE DÉCENNAL.

veiller de l’incurie extrême qui, surtout depuis la révolution de 1830, s’est manifestée dans les conseils de la nation, pour les véritables intérêts commerciaux. Tels sont cependant les fruits de la persévérance avec laquelle on suit le système adopté sous l’empire, ou plutôt dès brumaire an v, et soigneusement conservé dans les générations gouvernementales qui se sont succédé. On prétend assurer la prospérité intérieure par la prohibition du travail étranger ; on ne cherche pas à encourager l’exportation, mais on croit avoir tout gagné quand on a anéanti une branche d’importation, et, pour nous servir d’un lieu commun absurde, quand on s’est affranchi d’un tribut payé à l’étranger. On se complaît dans des louanges exagérées, données à l’industrie du pays, et on se dissimule qu’elle se trouve chassée successivement de tous les points où elle trouvait des débouchés, parce qu’elle est ignorante des progrès que font ses rivaux, et des besoins nouveaux qu’elle pourrait être appelée à remplir. C’est évidemment déchoir que de ne pas marcher d’un pas égal à celui des autres peuples, et telle est cependant notre position dans cette portion du commerce étranger qui est livrée à la concurrence.

La dernière exposition des produits de l’industrie française a eu lieu en 1834. Nous avons été appelé à rendre compte dans cette Revue (septembre 1834) des idées que cette grande solennité nous avait inspirées. Depuis, M. le baron Charles Dupin, parlant au nom du jury qui a eu à prononcer sur le mérite des exposans, a, dans un rapport où la science de l’histoire se trouve unie aux connaissances technologiques, fait ressortir l’importance du travail appliqué aux arts. En rendant la plus haute justice à un ouvrage d’un si grand intérêt, en appréciant l’impartialité du jury, nous devons regretter qu’il n’ait pas cru devoir interroger les fabricans sur la place que leurs produits occupaient dans la consommation étrangère et sur l’accroissement de nos exportations. Là se fut trouvée la véritable pierre de touche du progrès et la mesure de la réussite. Nos efforts sont vains tant que notre travail reste au-dessous de celui de nos rivaux.

À l’exposition a succédé une enquête. Là, les mêmes producteurs qui avaient réclamé des récompenses pour leurs progrès sont venus confesser leur inhabileté à lutter avec l’étranger, et n’ont trouvé de remède à ces états fâcheux que dans la continuation à peu près complète des prohibitions. Le gouvernement n’a pu lutter contre un vœu aussi général, partagé par des hommes de toutes les opinions politiques, et les manufacturiers français se sont paisiblement endormis devant la consommation acquise pour eux de 34 millions d’habitans. Notre industrie n’a éprouvé nul émoi en voyant passer sur notre territoire, en 1836, 332 millions de francs en marchandises étrangères, introduites pour le transit ou la réexportation. De cette somme, 180 millions sont classés comme articles manufacturés, tandis que nous n’en avons exporté nous-mêmes que pour 456 millions. Les tissus étrangers forment seuls 125 millions. Quelles sont les causes qui nous ont empêchés de les fournir ? Qui fait donner la préférence à la Suisse, à la Prusse, etc. ? Qui