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Ces chiffres portent avec eux toute leur éloquence ; aucun raisonnement ne pourrait mieux démontrer que nous restons sur la route, disposés à nous laisser devancer par tous nos rivaux. Mais il est des choses qui ont besoin d’être approfondies, afin qu’il ne reste aucun doute dans l’esprit. La navigation française est ou exclusive et réservée, comme pour nos colonies et pour la pêche, ou seulement protégée, comme cela résulte des droits différentiels de douane, dans celle que nous faisons à l’étranger. La navigation réservée, force est bien qu’on nous la laisse. Elle offre l’emploi en moyenne de 160 mille à 170 mille tonneaux par année, qui vont nécessairement en se réduisant, et devront disparaître bientôt. Quant à notre navigation faite en concurrence avec l’étranger, cette navigation, où se trouve l’épreuve de nos forces et de notre esprit commercial, on nous pardonnera de rappeler encore une fois les chiffres qui en expriment la situation.

Il est entré en France, du commerce libre et fait en concurrence :

Pavillon français. Pavillon étranger.
De 1827 à 1829. 553,375 1,584,703
De 1830 à 1832. 614,216 1,845,115
De 1833 à 1835. 679,804 2,125,686

Il est sorti de France pour les mêmes destinations :

De 1827 à 1829. 472,215 1,320,589
De 1830 à 1832. 470,785 1,195,203
De 1833 à 1835. 581,576 1,467,051

C’est-à-dire que, dans les rapports de la France avec l’étranger, nos navires sont employés pour un peu plus du quart.

Un pareil résultat, après un quart de siècle de paix, est certainement tout ce que l’on peut imaginer de plus déplorable pour l’honneur et la puissance de la nation française. Encore si nous analysons bien les causes qui nous ont fait conserver cette part de un quart, dans le mouvement de la navigation qui entre et sort de nos ports pour les pays étrangers, nous trouverons qu’il a fallu avoir recours, vis-à-vis de la Grande-Bretagne, à une réciprocité de répulsion commerciale, protéger notre navigation de l’Inde par des droits différentiels équivalant à plusieurs fois la valeur du fret, et exciter les armemens pour les îles de la Sonde, qui se sont, au reste, arrêtés à Java, par des immunités exorbitantes, qui ont détruit d’un autre côté notre commerce avec Haïti, et peut-être privé ses habitans des moyens de s’acquitter envers nous.

La prospérité de la marine marchande dépend du mouvement commercial d’une nation, car aujourd’hui chaque peuple, autant que possible, emploie ses navires pour ses propres affaires. Sans marine marchande, il n’y a pas de marine militaire ; cette dernière, comme on l’a vu à Navarin, à Alger, dans le Tage, et aujourd’hui en Amérique, est une des plus fermes bases de la puissance et de la prépondérance politique. Aussi ne savons-nous trop nous émer-