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votre projet d’adresse est pâle, timide, sans couleur, nous dirons, nous, que vous avez peur les uns des autres ; et c’est ce que nous disons déjà depuis long-temps.



PAUVRES FLEURS, POÉSIES PAR Mme DESBORDES-VALMORE[1].

Il y a quelques années, dans ce recueil, à propos du volume intitulé les Pleurs, on a essayé de caractériser le genre de sensibilité et de talent particulier à Mme Valmore. Elle n’est pas de ces ames pour qui la poésie n’a qu’un âge, et qui, en avançant dans cette lande de plus en plus dépouillée qu’on appelle la vie, s’enferment, se dérobent désormais, se taisent. Elle est née une lyre harmonieuse, mais une lyre brisée : qu’est-ce donc qui la pourrait briser davantage ? Pour elle chaque souffrance est un chant : c’est dire que, depuis ces cinq années, dans les vicissitudes de sa vie errante, elle n’a pas cessé de chanter. Chaque plainte qui lui venait, chaque sourire passager, chaque tendresse de mère, chaque essai de mélodie heureuse et bientôt interrompue, chaque amer regard vers un passé que les flammes mal éteintes éclairent encore, tout cela jeté successivement, à la hâte, dans un pêle-mêle troublé, tout cela cueilli, amassé, noué à peine, compose ce qu’elle nomme Pauvres Fleurs : c’est là la corbeille de glaneuse, bien riche, bien froissée, bien remuée, plus que pleine de couleurs et de parfums, que l’humble poète, comme par lassitude, vient encore moins d’offrir que de laisser tomber à nos pieds. Relevons-en vite tant de fleurs charmantes ou gravement sombres.

Il y a des souvenirs d’enfance, la Maison de ma Mère :

Et je ne savais rien à dix ans qu’être heureuse ;
Rien, que jeter au ciel ma voix d’oiseau, mes fleurs ;
Rien, durant ma croissance aiguë et douloureuse,
Que plonger dans ses bras mon sommeil ou mes pleurs
Je n’avais rien appris, rien lu que ma prière,
Quand mon sein se gonfla de chants mystérieux ;
J’écoutais Notre-Dame et j’épelais les cieux,
Et la vague harmonie inondait ma paupière ;
Les mots seuls y manquaient ; mais je croyais qu’un jour,
On m’entendrait aimer pour me répondre : amour !

Et ma mère disait : « C’est une maladie ;
Un mélange de jeux, de pleurs, de mélodie ;
C’est le cœur de mon cœur ! Oui, ma fille, plus tard
Vous trouverez l’amour et la vie… autre part. »

Dans une autre pièce qui a pour titre : Avant toi ! le tendre poète nous remet sur la mort de sa mère, sur ce legs de sensibilité douloureuse qui lui

  1. Chez Dumont, Palais-Royal, 88.