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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/156

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REVUE DES DEUX MONDES.

dule se met à jouer un air de Fra Diavolo ! Non, je n’oublierai jamais le regard tout à la fois triomphant et inquiet, le regard scrutateur qu’il jeta sur nous au moment où l’on entendit résonner les premières notes de musique. Si, alors, nous avions voulu commettre un meurtre moral, nous n’aurions eu qu’à montrer aux yeux de notre hôte un visage indifférent. Mais nous ne fûmes pas si cruels, nous applaudîmes à la féerie de sa pendule, et, par reconnaissance, il vida un grand verre de vin à la prospérité de notre pays. Ce toast, dont nous le remerciâmes avec sincérité, n’était que le commencement d’une horrible trahison. Le malheureux partit de là pour entamer une dissertation politique, dans laquelle il passa en revue toute l’Europe. En vain je me débattis contre le piége perfide qu’il venait de me tendre ; en vain j’essayai de le ramener à sa nature d’habitant de Havsund ; tous mes efforts furent inutiles. Quand je lui parlais des Lapons, ses voisins, il suivait l’armée de don Carlos en Espagne ; quand je lui demandais quel avait été le produit de la pêche dans les années dernières, il énumérait le budget de l’Angleterre. Je vis que la lutte était impossible. Je courbai la tête comme un martyr, et j’écoutai patiemment jusqu’à ce qu’il lui plût de mettre fin à ses digressions. Mais, le lendemain, il m’attendait déjà de pied ferme, et je n’échappai que par la fuite au développement d’une nouvelle théorie. Bon Dieu ! me disais-je en reprenant la route de Hamnmerfest, où faudra-t-il donc aller pour éviter la politique, si elle doit nous poursuivre jusqu’au 71e degré de latitude ?


Hammerfest, 10 août.


X. Marmier