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SPIRIDION.

beau. La tombe fut muette, les cadavres sourds, la mort inexorable ; j’allai jeter dans un buisson du jardin mon ciseau et mon levier, et revins, tranquille et triste, m’asseoir sur cette tombe qui ne voulait pas me rendre ses trésors.

Là, je restai jusqu’au lever du soleil, perdu dans mes pensées. La fraîcheur du matin étant venue glacer sur mon corps la sueur dont j’étais inondé, je fus paralysé, je perdis non-seulement la puissance d’agir, mais encore la volonté ; je n’entendis pas les cloches qui sonnaient les offices, je ne fis aucune attention aux religieux qui vinrent les réciter. J’étais seul dans l’univers ; il n’y avait entre Dieu et moi que ce tombeau qui ne voulait ni me recevoir ni me laisser partir : image de mon existence toute entière, symbole dont j’étais vivement frappé, et dont la comparaison m’absorbait entièrement ! Quand on vint me relever, comme je ne pouvais ni remuer, ni parler, on se persuada que mon cerveau était paralysé comme le reste. On se trompa ; j’avais toute ma raison, je ne la perdis pas un instant durant la maladie qui suivit cet accident. Il est inutile de te dire qu’on l’imputa au hasard, et qu’on ne soupçonna jamais ce que j’avais tenté.

Une fièvre ardente succéda à ce froid mortel ; je souffris beaucoup, mais je ne délirai point ; j’eus même la force de cacher assez la gravité de mon mal pour qu’on ne me soignât pas plus que je ne voulais l’être, et pour qu’on me laissât seul. Aux heures où le soleil brillait dans ma cellule, j’étais soulagé ; des idées plus douces remplissaient mon esprit ; mais la nuit j’étais en proie à une tristesse inexorable. Aux cerveaux actifs l’inaction est odieuse ; l’ennui, la pire des souffrances qu’entraînent les maladies, m’accablait de tout son poids. La vue de ma cellule m’était insupportable. Ces murs me rappelaient tant d’agitations et de langueurs subies sans arriver à la connaissance du vrai ; ce grabat où j’avais supporté si souvent et si long-temps la fièvre et les maladies, sans conquérir la santé pour prix de tant de luttes avec la mort ; ces livres que j’avais si vainement interrogés ; ces astrolabes et ces télescopes, qui ne savaient que chercher et mesurer la matière ; tout cela me jetait dans une fureur sombre. À quoi bon survivre à soi-même ? me disais-je, et pourquoi avoir vécu, quand on n’a rien fait ? Insensé, qui voulais, par un rayon de ton intelligence, éclairer l’humanité dans les siècles futurs, et qui n’a pas seulement la force de soulever une pierre pour voir ce qui est écrit dessous ! malheureux, qui, durant l’ardeur de ta jeunesse, n’as su t’occuper qu’à refroidir ton esprit et ton cœur, et dont l’esprit et le cœur s’avisent de se ranimer quand l’heure de mourir est venue ! meurs donc, puisque tu n’as plus ni tête, ni bras ; car, si ton cœur a la