Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/238

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
234
REVUE DES DEUX MONDES.

quand nous aimons et quand nous concevons la perfection. Nous sommes tous des messies, quand nous travaillons à amener son règne sur la terre ; nous sommes tous des Christs quand nous souffrons pour elle. Alors il étendit la main pour me bénir, et je m’éveillai. Mais, dès cet instant, je fus consolé, et, m’humiliant profondément, je ne maudis plus mon œuvre et ne pensai plus à le détruire. Convaincu que j’étais tombé dans l’erreur en professant le catholicisme et en fondant un monastère, je me dis que j’avais obéi à une force supérieure, et que de ce couvent, le dernier peut-être qui serait fondé sur la terre, sortiraient encore quelques grands hommes, ou bien que les vices des moines qui m’entouraient, et dont j’étais si profondément blessé, tourneraient au profit de la vérité, en amenant plus vite la destruction des couvens et la ruine du clergé. Et je me suis dit encore que mes variations de doctrine, mes études, mes abjurations, mon enthousiasme, mes doutes, mon désespoir, ma mort, tout cela n’était pas, comme il pouvait sembler aux esprits vulgaires, une vie manquée, des peines perdues. L’homme qui, le premier, voulut bâtir une maison, vit, sans doute, bien des fois s’écrouler son ouvrage mal assuré. Peut-être même cet homme termina-t-il sa vie sans avoir pu reposer sa tête en sûreté, une seule nuit, sous la voûte élevée par ses mains. Mais les hommes qui vinrent après lui profitèrent de ses essais ; ils profitèrent également de ses fautes pour les éviter ; car l’expérience est le fruit qui tombe de l’arbre et dont la semence se répand sur la terre. De même, quand une maison s’écroule, il est bon de l’étayer et de la réparer jusqu’à ce qu’une nouvelle maison ait été bâtie. Ceux qui construisent sur ses ruines un palais splendide, raillent ceux qui ont conservé, le plus long-temps qu’ils ont pu, le vieil édifice. Et pourtant il est certain que, sans l’obstination de ces conservateurs, les novateurs se seraient trouvés sans abri.

« Mais, ô mon Dieu ! que la peine est rude, et que le calice est amer pour ceux qui travaillent à soutenir des décombres et qui meurent sans avoir servi à autre chose qu’à creuser un tombeau ! hommes du passé, qui avez, comme moi, assisté aux funérailles d’une religion, sans pouvoir saluer l’aurore d’une religion nouvelle ; ô malheureux ouvriers, dont le ciseau s’est brisé sur la pierre froide du sépulcre et dont les yeux n’ont pu se tourner vers la façade d’un nouveau temple ; combien votre agonie fut lente ! combien votre ame a défailli sous le poids du doute et de la lassitude ! hommes de l’avenir, à qui de pareils tourmens sont réservés, souvenez-vous de vos