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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/244

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REVUE DES DEUX MONDES.

beaux. Au milieu de cette destruction qu’Alexis contemplait d’un visage impassible, le christ du maître-autel, détaché de la croix, tomba avec un grand bruit. Les soldats éclatèrent de rire, et, courant après les morceaux de cette statue, virent qu’elle était seulement de bois doré. Alors ils l’écrasèrent sous leurs pieds avec une gaieté méprisante et brutale ; et l’un d’eux, prenant la tête du crucifié, la lança contre les colonnes qui nous protégeaient ; elle vint rouler à nos pieds. Alexis se leva, et, plein de foi, il dit :

— Christ ! on peut briser tes autels, et traîner ton image dans la poussière. Ce n’est pas à toi, fils de Dieu, que s’adressent ces outrages. Du sein de ton père, tu les vois sans colère et sans douleur. Tu sais que c’est l’étendard de Rome, l’insigne de l’imposture et de la cupidité, que l’on renverse et que l’on déchire au nom de cette liberté que tu eusses proclamée aujourd’hui le premier, si la volonté céleste t’eût rappelé sur la terre.

— À mort ! à mort ce fanatique qui nous injurie dans sa langue ! s’écria un soldat en s’élançant vers nous le fusil en avant.

— Croisez la baïonnette sur le vieux inquisiteur ! répondirent les autres en le suivant. — Et l’un d’eux, portant un coup de baïonnette dans la poitrine d’Alexis, s’écria : — À bas l’inquisition ! Alexis se pencha et se retint sur un bras, tandis qu’il étendait l’autre vers moi, pour m’empêcher de le défendre. Hélas ! déjà ces insensés s’étaient emparés de moi et me liaient les mains.

— Mon fils, dit Alexis avec la sérénité d’un martyr, nous-mêmes nous ne sommes que des images qu’on brise, parce qu’elles ne représentent plus les idées qui faisaient leur force et leur sainteté. Ceci est l’œuvre du destin ; soumets-toi, ne fais aucune résistance ; Dieu t’ordonne de vivre

Puis, il tomba la face contre terre, et un autre soldat, lui ayant porté un coup sur la tête, la pierre du hic est fut inondée de son sang.

— Spiridion ! dit-il d’une voix mourante, ta tombe est purifiée ! Angel ! fais que cette trace de sang soit fécondée ! Dieu ! je t’aime, fais que les hommes te connaissent !…

Et il expira. Alors une figure rayonnante apparut auprès de lui, et je tombai évanoui.


George Sand.