Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
245
L’ARABIE.

terre une nation que ses brillantes destinées placent au-dessus de tout parallèle, et c’est celle que tu gouvernes. Cette nation à part, j’ai réponse à toutes les accusations du roi, et crois pouvoir établir la supériorité des Arabes, sans contradiction ni démenti donné aux paroles royales. Rassure-moi contre les effets de ta colère, et je m’expliquerai.

— Parle, dit Chosroès, tu n’as rien à craindre.

— En ce qui concerne ton peuple, reprit Noumân, on ne peut lui contester la prééminence. Il a tout pour lui, les dons de l’intelligence, un vaste territoire, une grandeur politique universellement sentie, enfin la faveur insigne que Dieu lui a faite de vivre sous tes lois et les lois de tes ancêtres. Mais après cette nation, que tant d’avantages mettent hors de ligne, je n’en vois pas une qui puisse supporter la comparaison avec les Arabes, pas une sur qui les Arabes ne l’emportent…

— Ne l’emportent ! Et en quoi ? interrompit Chosroès.

— En indépendance, en beauté, noblesse, générosité, poésie et proverbes, force et pénétration d’esprit, en dédain de tout ce qui est bas, horreur de toute espèce de joug, probité, fidélité aux engagemens. Libres comme l’air, ils sont, depuis des siècles, les hôtes et les amis des Chosroès, de ces grands rois qui ont conquis tant de provinces, parqué tant d’esclaves, mené tant d’armées à la victoire et fondé un si vaste empire. Ces illustres monarques se sont contentés de l’amitié des Arabes et n’ont cessé de les honorer ; car nul ne fut assez téméraire pour attenter à leur indépendance. — Leurs chevaux sont leurs forteresses, la terre est leur lit, le ciel leur toit ; pour remparts ils ont leurs sabres, pour attirail de guerre la constance, bien différens des autres peuples, dont la force et la défense sont représentées par des monceaux de pierre et de boue, des fossés et des tours. — Quant à leurs personnes, il suffit de les voir pour les préférer aux Hindous à la peau brûlée, aux Chinois informes et chafouins ; aux Turcs à la face repoussante[1], aux Grecs si vermeils qu’on les prendrait pour des écorchés. — Leurs généalogies, qui sont leurs titres de noblesse, et l’importance qu’ils y attachent, suffiraient pour les distinguer de toutes les autres nations. Car vous ne trouverez pas un peuple, en dehors de l’Arabie, qui n’ait oublié une portion énorme de ses origines, à tel point que si vous demandez à un autre qu’à un Arabe le nom de son bisaïeul ou seulement de son aïeul, il y a tout à parier qu’il ne pourra pas vous le dire. Par contre, vous ne trouverez point chez nous un seul homme qui ne puisse nommer ses

  1. Il s’agit ici des Turcs orientaux, qui ont le type tartare.