Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
270
REVUE DES DEUX MONDES.

téressait cependant bien vivement la France. C’était un boulevart lointain, il est vrai, mais sûr, contre une des grandes puissances du Nord. Et il ne s’agissait cependant que d’une simple offre de médiation, tandis que dans les négociations relatives à la Belgique, l’Angleterre peut craindre, en appuyant trop la France, non pas de fortifier le boulevart que nous trouvons de ce côté contre l’Allemagne, mais de nous créer, pour un avenir incertain, une magnifique position maritime à Anvers, à Flessingue et à Ostende.

Mais M. Thiers a été plus loin dans son écrit. Il a renié, condamné la politique qui risquerait une conflagration pour les états de l’Italie autres que le Piémont. Le principe de non-intervention, établi par M. Molé, ne l’oublions pas, et pratiqué par lui dans toutes ses conséquences telles que les admet M. Thiers lui-même, ce principe ne peut, selon M. Thiers, s’appliquer au monde entier ; car alors, dit-il, il faudrait prendre les armes pour la moindre peuplade, depuis les Alpes jusqu’à l’Oural. On ne peut l’appliquer qu’à certains états, à ceux dont les intérêts sont communs avec les nôtres, et il ne doit s’étendre qu’aux pays compris dans notre rayon de défense, c’est-à-dire la Belgique, la Suisse et le Piémont. Il n’est donc pas question de la Romagne ! — « Si la France eût fait autrement, dit M. Thiers, outre qu’elle prenait envers tous les peuples le fol engagement que nous venons de dire, elle acceptait la guerre contre l’Autriche, c’est-à-dire contre l’Europe, pour deux provinces italiennes ; elle faisait pour ces provinces ce qu’elle n’avait pas voulu faire pour se donner la Belgique ; elle changeait, pour les intérêts des autres, un système de paix qu’elle n’avait pas changé pour ses propres intérêts ; en se compromettant, elle jouait la liberté du monde pour la liberté de quelques cités italiennes. Ou les raisons qu’elle avait eues de renoncer au Rhin étaient insuffisantes, ou, si elles étaient suffisantes, elles devaient lui interdire de marcher aux Alpes, bien entendu, la Suisse et le Piémont restant intacts.

« Engager l’Autriche à se retirer, lui interdire de séjourner dans ces provinces, engager Rome à adoucir, à améliorer leur sort, était tout ce qu’on pouvait : sinon, on entreprenait une croisade universelle. La France avait tout risqué pour la Belgique, elle aurait tout risqué pour le Piémont ; elle ne le devait pas, elle ne le pouvait pas pour Modène et Bologne.

« Une autre question s’élevait d’ailleurs, question effrayante, celle de la papauté. L’insurrection réussissant, la papauté était obligée de s’enfuir et de prendre la route de Vienne, car nous n’étions pas là pour lui faire prendre celle de Savone ou de Paris. Or, nous le demandons, on sait ce que la papauté a fait à Paris ! Qu’eût-elle fait établie à Vienne ? Figurez-vous le pape à Vienne, tenant dans ses mains les consciences dévotes du midi et de l’ouest de la France ? C’était la guerre religieuse, jointe à la guerre territoriale et politique. C’étaient trois questions à la fois.

Il nous semble qu’après les deux excellens discours de M. Molé sur l’affaire d’Ancône, et l’excellent écrit de M. Thiers, il ne reste plus rien à ajouter sur