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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

décidée ; la seconde paraissait mesquine et indigne du moindre regard, auprès de la souveraineté nationale que le tiers-état ambitionnait pour l’avenir, et dont il prétendait avoir au moins une part dans le passé. Son exigence, toute puissante alors, devenait une loi pour l’histoire, et l’histoire y obéissait ; elle rejetait, pour la France, toute tradition rattachant, d’une manière quelconque, les origines de la société moderne à la société des derniers temps de l’empire romain. Marchant comme Mably dans cette voie, mais d’une allure plus ferme et plus scientifique, l’auteur de la Théorie des lois politiques de la monarchie française nie, avec de longs développemens, que rien de romain ait subsisté en Gaule sous la domination des conquérans germains, ni la procédure criminelle, ni les magistratures, ni l’impôt, ni le gouvernement municipal. Les justices urbaines et les justices de canton sont pour elle une seule et même chose ; elle attribue aux comtes de l’époque mérovingienne toute l’administration des villes, et fait ainsi abstraction de tout vestige de l’organisation gallo-romaine des municipes et des châteaux. Elle ne veut, pour la Gaule franke, qui, selon elle, est la France primitive, aucune institution dérivant de l’empire romain[1]. L’idée même de cet empire lui est tellement odieuse, qu’elle la poursuit jusque dans la personne de Charlemagne, à qui elle ne reconnaît d’autre titre que celui de roi des Franks, et, chose encore plus singulière, elle lui prête, à cet égard, ses propres sentimens, une forte répugnance pour le titre d’empereur et l’autorité impériale[2].

J’aurais voulu être moins sévère en jugeant ce livre, car sa destinée eut quelque chose de triste. Fruit de vingt-cinq années de travail, il fut, durant ce temps, l’objet d’une attente flatteuse de la part d’hommes éminens dans la science et dans la société ; M. de Malesherbes en suivait les progrès avec une sollicitude mêlée d’admiration ; tout semblait promettre à l’auteur un grand succès et de la gloire ; mais la publication fut trop tardive, et les évènemens n’attendirent pas.

  1. « Des noms barbares, des noms germains viennent remplacer dans la Gaule même les noms de curies et de curiales, dès que la Gaule passe sous le gouvernement franc, pour anéantir jusqu’aux traces du despotisme impérial, et pour lier, en toutes choses, les principes monarchiques et les idées de liberté. » (Théorie des lois politiques, etc., tom. VII, sommaire des preuves, pag. 175)
  2. « Comme Charlemagne n’était empereur que des Romains, comme les deux gouvernemens de l’Italie et de la France, établis sur des principes différens, ne pouvaient s’identifier… Charlemagne apprécia ces deux titres ; il dédaigna celui d’empereur, et eut peine à l’accepter. Il affecta de se prévaloir du titre de roi des Francs… Dans la charte de division de son empire, il n’attribua le titre d’empereur à aucun de ses fils, et chercha à éteindre dans sa maison ce titre étranger. » (Ibid., tome VIII, discours, pag. 53)