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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/32

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REVUE DES DEUX MONDES.

La Théorie des lois politiques de la monarchie française s’imprimait en 1791, et elle était sur le point de paraître, lorsque la monarchie fut détruite. Séquestré, par prudence, durant la terreur et les troubles de la révolution, l’ouvrage promis depuis tant d’années ne vit le jour qu’en 1801, au milieu d’un monde nouveau, bien loin de l’époque et des hommes pour lesquels il avait été composé. S’il eût paru dans son temps, peut-être aurait-il partagé l’opinion et fait secte à côté du système de Mably ; peut-être, comme plus complet, plus profond, et en apparence plus près des sources, aurait-il gagné le suffrage des esprits les plus sérieux. Au fond, malgré les différences qui séparent ces deux théories, leur élément intime est le même ; c’est le divorce avec la tradition romaine ; il était dans le livre de Mably, il est dans celui de Mlle de La Lézardière plus fortement marqué, surtout motivé plus savamment. Telle était l’ornière où le courant de l’opinion publique avait fait entrer de force l’histoire de France, ornière qui se creusait de plus en plus. On s’attachait à un fantôme de constitution germanique ; on répudiait tout contact avec les véritables racines de notre civilisation moderne ; et cela, au moment même où l’inspiration d’une grande assemblée, investie par le vœu national d’une mission pareille à celle des anciens législateurs, allait reproduire dans le droit civil de la France, dans son système de divisions territoriales, dans son administration tout entière, la puissante unité du gouvernement romain.

L’heure marquée arriva pour cette révolution, terme actuel, sinon définitif, du grand mouvement de renaissance sociale qui commence au XIIe siècle. Après cent soixante-quinze ans d’interruption, les états-généraux furent convoqués pour le 5 mai 1789. L’opinion de la majorité nationale demandait, pour le tiers-état, une représentation double, et cette question, traitée en divers sens, du point de vue de l’histoire et de celui du droit, donna lieu à de grandes controverses. — Elle fut tranchée par un homme dont les idées fortes et neuves eurent plus d’une fois le privilége de fixer les esprits et de devenir la loi de tous, parmi les incertitudes sans nombre d’un renouvellement complet de la société. Qu’est-ce que le tiers-état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À être quelque chose : tels furent les termes énergiquement concis dans lesquels l’abbé Sieyes formula ce premier problème de la révolution française. Son célèbre pamphlet, théorique avant tout, suivant les habitudes d’esprit de l’auteur, fut le développement de cette proposition hardie : le tiers-état est une nation par lui-même, et une nation