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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/334

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cendie. Ce sol dont on s’était emparé restait sans culture aux mains de ses nouveaux maîtres, malgré l’éclat de sa verdure et la fraîcheur de ses eaux : et comment n’en eût-il pas été ainsi ? La population indigène, privée de toute propriété, et sans aucune garantie pour celle qu’elle acquerrait au prix de ses sueurs, était devenue incapable de contracter une obligation légale en même temps qu’elle restait sans motif d’excitation pour elle-même. La verge du despotisme avait touché l’Irlande et y avait tout desséché jusqu’à la racine. Aussi l’égoïsme ramena-t-il, sinon vers la justice, du moins vers une politique moins meurtrière. On rendit quelques droits de propriété à ces ilotes, afin d’être en mesure de traiter avec eux, à peu près comme le planteur des Antilles soigne la santé de ses esclaves pour profiter de leur travail.

On espérait d’abord limiter des concessions dont on cherchait la mesure dans son propre intérêt ; mais les gouvernemens ne s’arrêtent pas plus dans la voie des réparations que dans celle de l’iniquité. Un premier redressement en appelle nécessairement un autre, car chaque conquête accomplie donne plus d’autorité aux réclamations, plus de force pour les faire valoir.

Aussi vit-on s’engager dès cette époque, entre les vainqueurs et les vaincus, une lutte dont le dernier terme devait être l’égalité parfaite des uns avec les autres. Pour la soutenir, l’Angleterre s’appuya sur sa puissance et sa richesse, l’Irlande sur sa misère et son désespoir : l’une entendant maintenir son système d’oppression avec d’autant plus de rigueur qu’elle était contrainte, par les nécessités même de sa politique, de faire dans l’ordre civil des concessions plus nombreuses ; l’autre faisant de sa turbulence le dernier rempart de sa nationalité et acquérant de plus en plus la conviction que le secret de sa délivrance était dans celui de sa force.

Cette lutte a rempli la seconde moitié du dernier siècle et tout le commencement de celui-ci. L’Irlande a poursuivi la conquête de sa liberté tantôt par la force, tantôt par les voies légales, mais toujours en se montrant menaçante. Soit qu’elle ait dû à l’insurrection d’Amérique le rapport des lois pénales, à la révolution française ses premiers droits politiques, à une association puissante et aux complications de l’Europe sa récente émancipation religieuse, elle peut dire qu’elle a tout conquis en inspirant la crainte et qu’elle n’a rien obtenu de la justice de sa cause.

Une telle conviction laisserait au sein de tous les peuples les germes d’une irritation peut-être éternelle. Qu’est-ce donc lorsque la contrée