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DE L’IRLANDE.

la plus malheureuse de l’Europe, arrivée au but de ses longs efforts, au terme suprême de ses espérances, commence à entrevoir que le poids de ses longues douleurs doit continuer de l’accabler ? Qu’est-ce lorsqu’il lui reste démontré que ses maux ont des racines plus profondes que la haine même de ses ennemis ?

Telle est pourtant l’impression qu’on reçoit tout d’abord en regardant de près aux affaires d’Irlande. Un examen quelque peu sérieux rend difficile d’espérer que la solution des questions parlementaires aujourd’hui débattues, en admettant même la conclusion la plus favorable, puisse rendre à ce pays une tranquillité dont il a perdu l’habitude et jusqu’au souvenir. La loi ne réformera point, par sa seule autorité, des mœurs héréditaires ; elle ne changera pas, de bien long-temps du moins, des usages invétérés qui arrêtent l’essor de toute culture et atteignent la prospérité publique à sa source. Il y a en Irlande des causes de souffrance désormais indépendantes des griefs politiques, quoique dans l’origine ceux-ci aient pu les provoquer ; il en est d’autres qui tiennent à son génie autant qu’à sa fortune, à sa nature autant qu’à son histoire : ces causes s’enlacent aux racines même de sa nationalité. Les analyser l’une après l’autre, en indiquant ce qu’on peut attendre d’un bon gouvernement et ce qu’il faut laisser au temps et à la Providence ; expliquer pourquoi cette population s’accroît à proportion de sa misère plus rapidement qu’elle ne le ferait en raison de sa prospérité ; pressentir l’action qu’exercera l’Irlande sur les destinées de la Grande-Bretagne, lorsque les questions qui les divisent auront été vidées, ce serait là le sujet d’une belle et philosophique étude : elle occupe en ce moment un écrivain de talent auquel on doit de brillans aperçus sur l’Amérique du Nord[1], et nous ne pouvons, pour notre compte, présenter qu’une trop rapide esquisse d’un tableau à peine entrevu. Celle-ci est devenue néanmoins le complément obligé de travaux antérieurs sur l’Angleterre, la conséquence d’une appréciation qui resterait incomplète sans elle.

L’Irlande est appelée à exercer sur l’esprit public, au sein de la Grande-Bretagne, une influence dont les résultats sont encore incalculables. Au ressort de l’agitation qu’elle ne brisera qu’après s’être mise sur le pied d’une pleine égalité avec sa dominatrice et s’être assuré une représentation proportionnée à son importance, elle substituera celui du mouvement démocratique dont ses députés de-

  1. M. Gustave de Beaumont.