Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
REVUE DES DEUX MONDES.

et, de cette acceptation, il fait sortir un défi de guerre et des menaces bien autrement significatives que toutes celles qu’on eût jamais faites, au nom de la descendance franke, à la postérité présumée des vaincus du VIe siècle.

En dépit des précédens historiques, la double représentation du tiers fut décrétée et les états-généraux s’assemblèrent ; ils furent comme un pont jeté pour le passage du vieil ordre de choses à un ordre nouveau ; ce passage se fit, et aussitôt le pont s’écroula. À la place des trois états de la monarchie française, il y eut une assemblée nationale où dominait l’élite du troisième ordre, préparé à la vie politique par le travail intellectuel de tout un siècle. Ces représentans d’un grand peuple qui, selon l’expression vive et nette d’un historien, n’était pas à sa place et voulait s’y mettre[1], n’eurent besoin que de trois mois pour bouleverser de fond en comble l’ancienne société et aplanir le terrain où devait se fonder le régime nouveau. Après la fameuse nuit du 4 août 1789, qui vit tomber tous les priviléges, l’assemblée nationale, changeant de rôle, cessa de détruire et devint constituante. Alors commença pour elle, avec d’admirables succès, le travail de la création politique, par la puissance de la raison, de la parole et de la liberté. Ce travail, dans ses diverses branches, fut une synthèse où tout partait de la raison pure, du droit absolu et de la justice éternelle ; car, selon la conviction du siècle, les droits naturels imprescriptibles de l’homme étaient le principe et la fin, le point de départ et le but de toute société légitime. L’assemblée constituante ne manqua pas à cette foi qui faisait sa force et d’où lui venait l’inspiration créatrice ; elle demanda tout à la raison, rien à l’histoire, et toutefois, dans son œuvre, purement philosophique en apparence, il y eut quelque chose d’historique. En établissant l’unité du droit, l’égalité devant la loi, la hiérarchie régulière des fonctions publiques, l’uniformité de l’administration, la délégation sociale du gouvernement, elle ne fit que restaurer sur notre sol, en accommodant aux conditions de la vie moderne, le vieux type d’ordre civil légué par l’empire romain[2] ; et ce fut la partie la plus solide de ses travaux, celle qui, reprise et complétée, dix ans plus tard, par la législation du

  1. M. Mignet, Histoire de la Révolution française.
  2. L’autorité des empereurs, tout absolue qu’elle était, dérivait d’un principe essentiellement populaire. Si la volonté du prince a force de loi, « c’est, disent les jurisconsultes romains, que le peuple lui a transmis et a placé en lui son empire et toute sa puissance : Quod principi placuit legis habet vigorem, utpotè quum… populus ei et in eum omne suum imperium et potestatem conferat. » (Digest. lex I, tit. IV, lib. I. Institut., lib. I, tit. II, § VI.) — Voy. Digest. leg. XXXII, tit. III, lib. I, § I, et præfat., § VII.