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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/356

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cole est presque nul, où la misère peut exploiter tant de haines contenues, tant de souvenirs brûlans, possède une population plus dense que celle des plus riches contrées du globe. Sa moyenne pour les provinces de Leinster, d’Ulster et de Munster, dépasse le chiffre qu’elle atteint en Angleterre et en Belgique, couvertes l’une et l’autre de vastes et opulentes cités ; et les marais même du Connaught, où l’on ne rencontre pas une ville d’importance, sont plus peuplés que les comtés d’Écosse, en y comprenant Édimbourg, Glasgow, Paisley, Perth et Dundee ! Que sera-ce donc de l’avenir si cette population doublée depuis un demi-siècle, et qui dépasse aujourd’hui huit millions d’hommes, continue à s’accroître dans une disproportion effrayante avec les produits de la culture et de l’industrie ? Quelles lois changeront les coutumes invétérées d’un peuple accoutumé à accorder aux lois si peu d’empire, et près duquel le pouvoir n’eut jamais le droit d’arguer de ses bienfaits pour se concilier l’obéissance ?

Il est une analogie que nous ne pouvons nous empêcher de consigner ici. En signalant l’absence de toute industrie en Irlande, en exposant les résultats inhérens au système de la petite culture, nos souvenirs nous reportent vers un coin de terre cher à nos affections, où les mêmes usages existent et déterminent des effets à peu près semblables. La France aussi a son Irlande dans quelques parties de la Bretagne, cantons reculés où la condition du pauvre penty rappelle d’une manière frappante celle du malheureux cottier irlandais. Le salaire de l’un n’est guère plus élevé que celui de l’autre, et le plus souvent il ne le touche point en espèces, obligé qu’il est de payer par son travail la location de sa cabane et des quelques arpens qu’il ensemence en pommes de terre pour nourrir ses nombreux enfans, en chanvre, pour couvrir leur nudité. Trop souvent, le paysan armoricain ignore presque aussi complètement que le fils d’Érin les plus humbles jouissances de la vie matérielle ; et pourtant quelle différence entre ces deux êtres ! quel contraste au moins entre ces deux pays : L’un est la partie la plus pacifique de la France ; l’autre, la terre la plus agitée de l’Europe ; ici, pleine sécurité pour les personnes, prompte soumission à la loi, résignation facile à tous les sacrifices qu’elle impose ; là, le meurtre et l’incendie journellement employés par le pauvre contre le riche, la loi méconnue, les magistrats traités en ennemis publics ; ici, des mœurs douces et comme impassibles ; là, des mœurs rudes jusqu’à la férocité.

Cependant ces deux peuples, dont la condition physique est rap-