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contre un monopole odieux. Mais depuis que la Convention, en légitimant le droit des auteurs, eut livré à la libre concurrence un domaine public à exploiter, la reproduction frauduleuse des livres est devenue très rare chez nous. Si elle est encore à craindre, c’est uniquement pour les petits traités classiques auxquels l’approbation de l’Université confère une sorte de monopole ; et comme d’ailleurs, cette triste spéculation ne trouve que difficilement des complices dans le corps de la librairie, elle ne cause pas un grand dommage au propriétaire.

Le projet en discussion aggrave la pénalité établie aujourd’hui, mais au profit de l’état. Le contrefacteur français ou l’introducteur d’une édition contrefaite à l’étranger sera frappé, comme par le passé, d’une amende de 100 à 2,000 francs. L’amende doit être doublée, c’est-à-dire élevée de 50 à 1,000 francs pour le simple vendeur. Quant aux dommages et intérêts accordés à la partie civile, et dont la loi en vigueur fixe le maximum à la valeur de trois mille exemplaires dans le premier cas, et de cinq cents dans le second, ils seraient déterminés à l’avenir par la libre estimation des juges. Il ne resterait plus, relativement à la contrefaçon intérieure, qu’à établir la jurisprudence sur certains points fréquemment débattus devant les tribunaux. Par exemple, la propriété des cours publics rétribués par l’état, celle des offices nouveaux que les chapitres diocésains s’arrogent, la reproduction des notes et additions, l’étendue des emprunts qu’on peut faire à un livre ou à un recueil, sont fréquemment des objets de litige. La place importante que la littérature périodique a conquise dans la société la rend digne, à coup sûr, d’être prise en considération dans une loi sur la propriété littéraire. Il serait à propos de condamner le droit prétendu de reproduction, que certaines feuilles s’arrogent aux dépens d’entreprises recommandables, et d’établir formellement qu’un directeur de journal acquiert possession aux mêmes titres que le libraire ; qu’un article, qui quelquefois, dans ses petites proportions, résume un grand travail, devient alors une œuvre aussi complète, aussi respectable qu’un gros livre, et qu’il doit être défendu de se l’approprier, par la simple raison qu’il n’est pas plus permis de voler une faible somme qu’une valeur considérable.

Nous touchons enfin le point difficile du problème, la contrefaçon extérieure. Quand on n’est pas initié au commerce de la librairie, on ne saurait se faire une idée de la perturbation causée par cette concurrence déloyale. Qu’on sache que l’éditeur, après avoir acheté, quelquefois au poids de l’or, la propriété d’un ouvrage nouveau, en voit le prix doublé par les frais d’annonces et de voyages, par les sacrifices qu’il faut faire sous toutes les formes à la publicité. Bien plus, un éditeur doit tenir compte des caprices du public et de ses propres erreurs ; l’ensemble de ses opérations doit être combiné de telle sorte qu’une entreprise soutienne l’autre : c’est un joueur dont la perte est certaine, si les coups heureux ne réparent pas les chances défavorables. Eh bien ! c’est précisément ce succès réparateur qu’on lui ravit. Le contrefacteur attend que la fortune d’un livre soit faite pour s’en emparer.