Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/405

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
401
DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

nemens comprendraient qu’ils sacrifient l’élan national, qu’ils tarissent une source de nobles richesses, pour enrichir une centaine de spéculateurs. Ceux-ci ne tarderaient même pas à ouvrir les yeux, et à reconnaître que la contrefaçon perdrait toute son importance par l’adoption générale d’un système répressif, que les capitaux accumulés par eux deviendraient une cause de ruine, si l’exportation des produits contrefaits était interdite. Peut-être alors seraient-ils amenés eux-mêmes à demander l’extension du droit de propriété littéraire, qui ouvrirait légitimement l’Angleterre aux éditeurs américains, et la France aux éditeurs belges.

Nous le répétons : si la loi qu’on va rendre ne laisse pas, dans ses termes, ouverture à la mauvaise foi ; si les négociations qui doivent la couronner sont suivies avec zèle et persévérance ; si les instructions fournies aux représentans de la France auprès des étrangers sont rédigées avec une assez parfaite intelligence des intérêts et des usages de la librairie, pour qu’ils puissent dissiper une à une les objections de la routine, la contrefaçon disparaîtra dans un temps plus ou moins long. Il n’est pas nécessaire de faire observer que ce que nous avons dit de la reproduction frauduleuse des livres s’applique à toutes les compositions qui se multiplient par la presse, à la musique et à la gravure. Les auteurs dramatiques iront plus loin sans doute, et, appliquant à leurs œuvres la formule que nous avons émise, demanderont à être assimilés, dans les pays étrangers, aux auteurs nationaux, et à recueillir tous les avantages qui résultent de la représentation publique. Déjà même, nous a-t-on dit, un fondé de pouvoirs de la commission dramatique de Paris a été envoyé à Bruxelles avec des instructions rédigées en ce sens. Nous n’osons pas nous prononcer sur ce point. Assurément, l’auteur dramatique est, de même que le dessinateur et le romancier, maître absolu de son œuvre. Mais peut-être les docteurs du droit des gens rangeront-ils les pièces de théâtre parmi les choses dont on peut user, pourvu que l’usage ne cause aucun dommage au propriétaire légitime ; et, en effet, la représentation d’une pièce à Vienne ou à Londres est plutôt utile que préjudiciable aux entrepreneurs de Paris.

On demandera peut-être si le résultat espéré vaut toute la peine qu’il prépare. C’est à n’en pas douter. Sans avoir l’activité que le ministre paraît lui attribuer dans son rapport[1], la librairie est un commerce de premier ordre. Si on énumère tous les travailleurs qu’elle met en œuvre, on voit que sa prospérité intéresse environ cent mille familles, et qu’elle alimente jusqu’au malheureux qui ramasse dans la boue les élémens du papier. Eh bien ! présentement, une crise inquiétante paralyse la presse, et chaque jour

  1. De 1833 à 1836 inclusivement, la moyenne des exportations a été de 3,849,169 francs, et celle des marchandises importées et mises en consommation a été de 834,605 francs. Le solde en notre faveur est donc seulement de 5,010,000 francs. Nous insistons sur la faiblesse du chiffre de nos exportations, parce qu’il prouve le dépérissement de notre librairie et l’urgence de la loi soumise aux chambres.