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LA TERREUR EN BRETAGNE.

— Eh bien ! voyons, avez-vous quelques bouts de corde, quelques clous ?

— Pas ici, répondit-on, mais à la ferme.

— Où cela ?

— Chez Solian, à la lisière du fourré ; nous allons en chercher.

— Je vais avec vous, dit Storel ; je choisirai moi-même, et je verrai en passant ce que font les gars qui surveillent la route ; mais surtout du silence.

Les royalistes prirent leurs fusils et sortirent. Fine-Oreille resta seul près du feu avec six ou huit paysans qui ne parlaient que breton et avaient pris peu de part à tout ce qui venait d’avoir lieu.

Je me soulevai alors pour apercevoir Ivon, qui m’avait été caché pendant toute cette scène ; il était à la même place et dans la même posture. Cependant, quand le bruit des pas de Storel et de ses compagnons eut cessé, il releva lentement la tête. Son visage était pâle, ses yeux ouverts ; mais une suprême expression de courage y luttait avec l’effroi. Il regarda quelques instans autour de lui, comme s’il eût cherché à recueillir ses esprits et à s’assurer qu’il n’y avait aucune chance de salut ; puis sa vue s’arrêta sur le groupe de royalistes qui se trouvaient près du foyer ; insensiblement, il me sembla que ses regards s’animaient, il se redressa sur son séant, et donnant à sa voix une expression de calme qui me saisit :

— Bonjour à Guillaume Salaün, dit-il.

Tous se détournèrent brusquement avec une exclamation de surprise.

— Ce fils de prêtre sait ton nom ? dit à Fine-Oreille un des paysans.

— Et le tien aussi, Claude Menèz, reprit Ivon ; et le vôtre, Jean Guïader, Pierre Leguern, Louis Ledu.

Ils se levèrent tous.

— Il nous connaît, s’écrièrent-ils ; qui es-tu donc ?

— Un homme de votre paroisse.

Ils s’étaient approchés.

— Au fait, j’ai idée d’un chrétien qui avait cette figure-là, dit Fine-Oreille.

— C’est-il pas le petit Ivon Guesno ? demanda Louis Ledu en hésitant.

— Juste, s’écrièrent les autres, c’est le petit Ivon, celui qui jouait la tragédie avec nous à Vannes.

Il y eut un moment de surprise et d’embarras pour tous ; il était