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LA TERREUR EN BRETAGNE.

sur la terre sans retard ; amène-moi Nona, qui a gardé ma loi, pour qu’elle soit délivrée de toute douleur, ainsi qu’elle le mérite.

Et Ivon reprit :

« Hélas ! ô mon Dieu ! il faut souffrir et puis mourir ! Il est temps de laisser la terre, et ses tromperies, et ses douleurs, et ses agitations. Le temps est fini pour moi ; prenons soin de l’avenir ! Je vous prie de me donner l’extrême-onction, prêtres blancs ; car je pense que je vais partir d’ici. »

« Je donne donc mon ame à Dieu, vrai roi du monde ; je prie que l’on mette mon corps dans la terre consacrée, que les pauvres soient soulagés, que la paix soit partout ; plus de combats, je le demande à chacun ! »

Alors Leguern continua :

« C’est moi, la Mort ; dans cette vallée, je tue sans pitié tout ce qui est né. Vous, religieuse courtoise, votre temps est venu, je vous frappe d’abord sur le front ; recevez aussi ce coup assuré dans le cœur. »

Et tous, excepté Ivon, répétèrent ensemble :

« Entre ces deux grandes pierres cherchons un lieu charmant et doux aux regards. Il est situé dans la terre de Rivelen ; c’est ainsi que les anciens ont nommé cet endroit. Enterrons ici le corps pur de la religieuse, près de la mer armorique, à la vue de tout le monde. C’est en ce lieu désert qu’elle a été partagée en deux parties : son ame chaste est allée se réunir à Dieu, et son corps a été enseveli sous l’herbe, entre la terre d’Erné et celle des deux meurtres. »

On eût dit que ces vers agissaient sur les Bretons comme une formule magique. Ils les avaient répétés avec une action toujours croissante, et, à mesure qu’ils les déclamaient, une sorte d’enthousiasme poétique s’était emparé d’eux. La victime et les bourreaux semblaient avoir oublié leurs opinions différentes et leurs positions hostiles, pour se confondre dans une même émotion !

Quant à moi, je ne puis dire ce que cet étrange spectacle m’avait fait éprouver. L’inattendu d’une telle répétition au milieu des dangers qui nous menaçaient, l’espèce d’allusion que le rôle des acteurs semblait faire à la position réelle de chacun, la pompe cadencée de la déclamation, et cette sauvage harmonie du vers celtique, qui évoquait chez moi-même mille réminiscences de mes premières années ; tout s’était réuni pour m’émouvoir. Je m’étais levé, et j’écoutais avec une sorte de transport, lorsque retentit le cri général qui marque la fin de la tragédie. Au même instant il me sembla entendre un