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des seigneurs. Telles sont les associations que, par une loi de leur nature et de leur instinct, ces deux espèces d’affranchis ne manquent jamais de former, au sortir de l’esclavage ; or, comme ces deux espèces se rencontrent chez tous les peuples, M. Granier en conclut que, chez tous les peuples, il y a eu commune, jurande et féodalité.

Cependant il est encore d’autres classes dérivées de l’affranchissement, et comprises dans la nombreuse et féconde division des prolétaires, masse d’individus qui composent la couche la plus infime de toute société, hommes ne tenant au passé par aucune tradition, à l’avenir par aucune espérance, et qu’absorbe un soin unique, celui de gagner le pain de la journée. Du prolétariat, comme d’une plante abâtardie, mais pleine de sève et de vigueur, sortent d’abord les ouvriers, qui se rattachent à la commune par le travail ; ensuite les mendians, ou « ceux qui ne peuvent pas vivre dans leur condition, » puis les esclaves lettrés, les courtisans et les bandits ou « ceux qui ne veulent pas vivre de leur vie. »

Le lecteur a, dans ce court résumé, le plan de l’Histoire des Classes ouvrières et des Classes bourgeoises. Les prétentions de ce livre sont donc, comme on peut en juger dès à présent, 1o  d’attribuer à l’esclavage une origine qui contrarie les idées les plus raisonnables et les plus généralement reçues ; 2o  de trouver chez les anciens la commune, la jurande et la féodalité, et de rattacher ainsi au passé des institutions qu’on a crues jusqu’à ce jour essentiellement modernes ; 3o  de faire sortir de l’esclavage et de l’esclavage seul, comme d’une sentine impure, la mendicité, le vol et la prostitution, en même temps que la pauvreté laborieuse et la vertu modeste, ne réservant à cette race maudite, pour la relever un peu, que les travaux de l’industrie et quelques arts de l’esprit dédaignés de ses oppresseurs ; 4o  de constituer et de traiter à l’égal des autres classes les mendians, les bandits et les courtisanes, notes discordantes qui troublèrent toujours l’harmonie sociale.

Mais quel peut être le but moral d’un ouvrage ainsi conçu ? L’auteur nous l’explique : « Il ne suffit pas, dit-il, de vouloir organiser les classes ouvrières ; il faut encore que les classes ouvrières veuillent elles-mêmes être organisées ; il faut surtout qu’elles reconnaissent que la condition d’ouvrier est une condition naturelle et normale, et que le peuple, qui consiste principalement dans les classes ouvrières, n’a jamais été réduit en l’état où il se trouve par l’avidité des grands ; que s’il est bon, moral et légitime que les ouvriers, en leur qualité d’hommes intelligens et perfectibles, aient aussi leur ambition, il faut veiller à ce que cette ambition ne se trompe pas d’objets… Nous voudrions donc, si cela se pouvait, faire comprendre aux classes ouvrières que leur condition, comme la condition de tous, a été en s’améliorant de siècle en siècle… La difficulté de leur association est peut-être moins à nos yeux dans l’invention d’un mécanisme logique et applicable que dans les obstacles qu’apporteront les idées politiques fausses… Ce n’est pas en peu d’années qu’on peut se promettre de réformer les préjugés politiques des classes ou-