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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/486

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REVUE DES DEUX MONDES.

sophie a raison sans effort. Qui dit esclavage, dit oppression, souffrance ; l’homme subit donc l’esclavage malgré lui. Qui dit société suppose le sentiment du droit ; l’homme cherche donc à s’affranchir de l’esclavage.

Suivons cependant M. Granier de Cassagnac : « Les argumens, continue-t-il, que nous avons donnés jusqu’ici, sont de ceux qu’on appelle négatifs dans les sciences exactes… Il nous reste à donner maintenant les argumens positifs et directs, c’est-à-dire à montrer par quels procédés naturels, simples, logiques, l’esclavage s’est trouvé établi en même temps que les peuples se sont trouvés formés… Après force réflexions et surtout force lectures, il nous a semblé que primitivement l’idée de maître et l’idée de père se confondaient entièrement… Nous devons dire, ce qui est fort important, qu’il ne suffit pas d’être père selon la chair ; il faut encore l’être avec de certaines conditions de tradition, de famille, d’aïeux[1]. »

Le lecteur aura plus d’une fois l’occasion d’admirer dans le cours de cette discussion la hardiesse et l’assurance avec laquelle M. Granier s’enfonce dans ces ténèbres historiques où l’on ne s’aventure d’ordinaire qu’en tremblant et à tâtons. C’est que, lorsque les faits avérés manquent, M. de Cassagnac sait trouver dans les mots des indications qui échappent à tout le monde ; voilà son secret, et l’on pense bien qu’à l’aide de ce nouveau sens historique, il a dû faire d’étonnantes découvertes. La première, et ce n’est pas la moins curieuse, qui se présente dans son livre, c’est cette nécessité même d’une extraction divine imposée à tous les pères pour pouvoir exercer une autorité absolue sur leurs enfans. Où croirait-on, en effet, qu’il a trouvé cette indispensable condition ? Dans deux épithètes, celle de δίος, divin, donnée par les poètes grecs aux rois et aux héros, et celle de pius, que les auteurs latins, et Virgile surtout, ont si fréquemment employée. Comme c’est principalement de cette dernière que l’auteur s’est plu à développer la signification, nous demandons la permission de nous y arrêter un instant.

Tous nos lecteurs savent que le mot pius, chez les Latins, se prenait pour désigner : 1o celui qui honore les dieux, proprement l’homme pieux ; 2o l’homme probe et intègre ; 3o celui qui montre à ses parens de la soumission, du respect, de l’amour ; 4o les parens eux-mêmes qui ont pour leurs enfans de la tendresse, et qui la leur prouvent par des soins affectueux ; 5o ceux enfin qui manifestent du dévouement, de l’affection pour la patrie, pour leurs proches, leurs amis, etc. Il était réservé à M. Granier de Cassagnac de découvrir dans ce mot une acception inconnue. « Il y avait encore, nous apprend-il, un autre mot par lequel se désignaient les anciennes familles latines qui descendaient des dieux ; c’était celui de pius, qu’on a traduit à tort par pieux. Virgile appelle constamment Énée Pius, c’est-à-dire fils de Jupiter, signification que les nombreux traducteurs qui se sont succédé ont généralement ignorée[2]. »

  1. Chap. III, pag. 435-45.
  2. Chap. III, pag. 47.