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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/489

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CRITIQUE HISTORIQUE.

précédemment, cette phrase signifie simplement qu’après la mort d’Auguste, Tibère fit rarement usage du surnom que cet empereur lui avait légué ; isolée au contraire de tous les passages qui la préparent et l’expliquent, elle pourrait, à la rigueur, avoir le sens que lui prête M. de Cassagnac, moins cependant l’hérédité du nom d’Auguste dans la maison Claudia.

Passons à la seconde preuve dont M. de Cassagnac appuie la nouvelle signification de Pius. « Ensuite, dit-il, Virgile alterne habituellement le surnom de Pius avec plusieurs autres qualifications qui signifient fils des dieux. » Tous ceux qui ont lu Virgile savent que le poète ne suit point de règle fixe pour donner ce surnom à son héros, l’appelant Pius, tantôt pour des actions qui justifient le sens de l’épithète, tantôt pour des actions qui le contrarient, fort souvent pour des faits qui n’y ont aucun rapport. Quelle en est la raison ? C’est que Virgile a traité ce surnom, comme il le devait, à l’égal d’un nom propre, ayant sa signification permanente, invariable et indépendante de toutes les applications que l’on en peut faire. Il faut donc, pour trouver son vrai sens, remonter à la signification fondamentale. Ici se présente l’opinion de M. Granier de Cassagnac, qui prétend que cette signification est fils de Jupiter, parce que elle alterne avec des qualifications équivalentes, et que Énée est tour à tour appelé par le poète Pius et nate dea, ou deum gens, pieux et fils d’une déesse, ou rejeton des dieux. Comme si le héros de l’Énéide ne pouvait pas recevoir ces deux qualifications à des titres différens ! M. Granier n’a donc pas vu qu’en pressant un peu son argument, on le forcerait à ne reconnaître qu’une seule vertu dans le héros qui en posséderait le plus ? Mais dispensons M. Granier de tous ses argumens, et examinons son opinion en elle-même. Est-il croyable que Virgile, voulant donner un surnom à son héros, lui en eût précisément choisi un qui le pouvait confondre avec une foule innombrable d’autres héros ? Tel serait cependant le choix qu’il aurait fait, s’il fallait entendre pius par fils de Jupiter. N’est-il pas vraisemblable, au contraire, que, si dans la langue latine il se trouvait un mot retraçant fidèlement les traits principaux du caractère d’Énée, le poète aura choisi ce mot-là ? Or, qu’on se rappelle d’une part les divers sens que nous avons assignés à pius, et d’une autre part le caractère que l’histoire poétique attribue à Énée, et l’on verra que ce mot ainsi entendu le résume admirablement, lui prêtant à la fois toutes les vertus qui le distinguaient, la piété de la patrie et celle de la religion, la piété filiale et la piété paternelle.

Arrivés au bout de cette excursion philologique, concluons que le mot pius n’a jamais eu dans la langue latine d’autres sens que ceux que nous avons mentionnés, et que les nouvelles acceptions dont on a voulu l’enrichir ne reposent que sur des textes faussement interprétés.

Après avoir envisagé l’esclavage comme un fait spontané, après en avoir reculé l’origine jusqu’à l’établissement même des sociétés, M. Granier en est venu à le regarder comme né au sein de la famille. Mais l’esclavage étant un fait négatif, là s’est présentée la nécessité de chercher d’abord les premiers maîtres. Ces premiers maîtres ont paru, à M. Granier, ne pouvoir être