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REVUE LITTÉRAIRE.
genre n’est pas venue. M. de Lamartine, qui peut sembler comme le prince des poètes du jour, l’est dans un sens purement honorifique et pour l’ornement bien plus que pour l’exemple et la discipline. Avec sa généreuse et facile indulgence, il a favorisé à l’entour ce qu’il importait plutôt de restreindre, et, dans les propres développemens de sa riche nature, il est allé, cédant de plus en plus lui-même à ce qu’il eût fallu repousser. M. Hugo, avec d’autres qualités et sous d’autres apparences régnantes, n’a pas plus fait pour s’acquérir réellement l’autorité incontestée des maîtres. Cette autorité, pourtant, ne pouvait dépendre que de poètes ainsi haut placés, féconds et puissans ; de leur part, un chef-d’œuvre dans l’épopée, des chefs-d’œuvre au théâtre, auraient mis ordre au débordement lyrique et assuré à notre mouvement littéraire sa consistance et sa maturité. On en est aux regrets ; il faut se résigner, nous le croyons ; l’Horace et le Virgile, le Racine et le Despréaux, ces suprêmes et légitimes dictateurs qui couronnent et consolident une grande époque littéraire, manqueront à une époque brillante, mais diffuse, mais anarchique poétiquement et démocratique de prétentions et de concessions sur ce point comme partout ailleurs. Une fois qu’on en a pris son parti, on retrouve dans le détail de quoi se distraire et se consoler. À défaut d’un grand siècle qui demande avant tout l’établissement, la gradation et l’harmonie dans l’ensemble, on est une fort belle chose secondaire, une spirituelle et chaude entreprise très variée, très mêlée, très infatigable, un coup de main, au moins amusant, dans tous les sens. Les talens surtout n’ont jamais été plus nombreux ; c’est un devoir de la critique de ne pas se lasser à les compter, et d’en tirer avec soin et plaisir tout ce qui s’y distingue et qui s’en détache.


Hymnes sacrées, par M. Édouard Turquety[1]. — M. Turquety est un poète sincère. Il n’en est pas à son coup d’essai ; c’est le troisième volume qu’il donne dans le même ordre d’idées religieuses. Le premier s’intitulait Amour et Foi, le second Poésie catholique. Avant ces trois recueils, M. Turquety, si je ne me trompe, en avait publié un moindre, où le côté de l’amour et l’inspiration gracieuse dominaient. Il y était disciple de l’école de 1828, et quelques vers tendres rappelaient deux ou trois des seules élégies charmantes qu’on connaisse de Charles Nodier. Depuis lors, M. Turquety a cherché à se créer un rôle propre parmi les poètes modernes ; retiré dans sa Bretagne, il a consulté les graves et habituelles préoccupations d’une vie monotone que les seuls rayons mystiques éclairaient parfois. De là ses trois recueils, dont les deux derniers sont d’un catholicisme rigoureux. La preuve que M. Turquety a bien consulté et rendu son inspiration secrète, c’est qu’il a trouvé dans d’autres cœurs une réponse. Il est du très petit nombre de poètes qui se vendent. Ses beaux volumes, magnifiquement imprimés, ne le sont pas à ses frais (chose rare parmi les poètes modernes). M. Turquety a un public ; en Bretagne, dans le midi, à Toulouse, beaucoup de lecteurs fervens et fidèles

  1. Debécourt, libraire, 69, rue des Saints-Pères.