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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/54

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refermée la veille sur d’autres cadavres ensevelis à la hâte. Auprès du nouveau mort il y avait une petite croix de bois d’olivier grossièrement taillée, ornement unique du mausolée commun, une jatte de grès avec un rameau d’hysope pour l’ablution lustrale, et un petit bûcher de genièvre fumant pour épurer l’air. Un soleil dévorant tombait d’aplomb sur la tête chauve et sur les maigres épaules du solitaire. La sueur collait à sa poitrine les longues mèches de sa barbe couleur d’ambre. Saisi de respect et de pitié, je m’élançai vers lui. Il ne témoigna aucune surprise ; et, jetant sa bêche, il me fit signe de prendre les pieds du cadavre, en même temps qu’il le prenait par les épaules. Quand nous l’eûmes enseveli, il replanta la croix, fit l’immersion d’eau bénite ; et, me priant de ranimer le bûcher, il s’agenouilla, murmura une courte prière et s’éloigna sans s’occuper de moi davantage. Quand nous eûmes gagné son ermitage, il s’aperçut seulement que je marchais près de lui ; et, me regardant alors avec quelque étonnement, il me demanda si j’avais besoin de me reposer. Je lui expliquai en peu de mots le but de ma visite. Il ne me répondit que par un serrement de main ; puis, ouvrant la porte de l’ermitage, il me montra, dans une salle creusée au sein du roc, quatre ou cinq malheureux pestiférés agonisant sur des nattes. — Ce sont, me dit-il, des pêcheurs de la côte et des contrebandiers, que leurs parens, saisis de terreur, ont jetés hors des huttes. Je ne puis rien faire pour eux que de combattre le désespoir de leur agonie par des paroles de foi et de charité ; et puis je les ensevelis quand ils ont cessé de souffrir. N’entrez pas, mon frère, ajouta-t-il en voyant que je m’avançais sur le seuil, ces gens-là sont sans ressources, et ce lieu est infecté ; conservez vos jours pour ceux que vous pouvez sauver encore. — Et vous, mon père, lui dis-je, ne craignez-vous donc rien pour vous-même ? — Rien, répondit-il en souriant, j’ai un préservatif certain. — Et quel est-il ? — C’est, dit-il d’un air inspiré, la tâche que j’ai à remplir qui me rend invulnérable. Quand je ne serai plus nécessaire, je redeviendrai un homme comme les autres, et, quand je tomberai, je dirai : Seigneur, ta volonté soit faite ; puisque tu me rappelles, c’est que tu n’as plus rien à me commander. Comme il disait cela, ses yeux éteints se ranimèrent, et semblèrent renvoyer les rayons du soleil qu’ils avaient absorbés. Leur éclat fut tel, que j’en détournai les miens et les reportai involontairement sur la mer qui étincelait sous nos pieds. — À quoi songez-vous ? me dit-il. — Je songe, répondis-je, que Jésus a