Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/544

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
540
REVUE DES DEUX MONDES.

arrivés au terme d’une longue carrière, se versaient dans la veine, pour revivre, un sang jeune et vermeil, avec cette différence toutefois, que les vieux rois francs n’en mouraient pas moins, et que la partition de Meyerbeer a reconquis à cet expédient toute la vaillance de sa puissante jeunesse. La voix de M. de Candia est un ténor d’une richesse inouie, auquel une vibration toute juvénile donne par momens l’expression du contraltino. Ample, facile, toujours agréable, elle parcourt la gamme la plus étendue, et s’élève en son de poitrine du au si naturel, qu’elle attaque avec une singulière plénitude. Les sons du medium sortent un peu voilés, et, selon moi, il y a un charme inexprimable dans ces légers brouillards que les belles voix ont seules, et qui ressemblent aux petites vapeurs d’une fraîche matinée de printemps. M. de Candia n’est pas un comédien de l’école de Nourrit ; il lui suffit de ne jamais faire défaut à l’expression du moment, et, raisonnablement, c’en est assez pour un chanteur. Quant au reste, il y a dans son air et ses façons d’agir sur la scène une sorte de morbidezza dans la désinvolture, qui n’est pas sans élégance, et rappelle un peu le gentilhomme dans le chanteur. M. de Candia étudie en ce moment le rôle du comte Ory, et, dans quelques jours, la musique si vive, si aimable, si ingénieusement mélodieuse de Rossini sera, pour le charmant ténor, un nouveau motif de succès, car l’élément naturel de cette voix heureuse, c’est le chant italien.

On se souvient d’une ravissante fantaisie d’Hoffmann, Chiara, cette blanche sœur de Mignon et de Preciosa, qu’un charlatan exploite, et qui dit à tous la bonne aventure dans une boule de cristal. Cette idée du conteur de Berlin vient d’inspirer à M. de Saint-Georges le plus charmant ballet qui se puisse voir.

En général, je trouve qu’on a tort de traiter si lestement ces sortes d’imaginations, et qu’un poème d’opéra ou de ballet ne mérite pas toujours le dédain qu’on affecte à son égard ; il est peut-être plus difficile qu’on ne pense de trouver une idée qui se chante ou qui se danse, et de la mettre en œuvre selon les conditions de la musique ou de la chorégraphie. Aussi, je ne partage nullement, sur ce point, l’opinion des Italiens, et ne saurais m’accommoder du système de Vigano, qui prétend que toute action dramatique est propre à faire une excellente pantomime, et qu’il suffit d’arracher la langue au premier personnage de tragédie, pour qu’il devienne à l’instant même un admirable héros de ballet. Othello, Macbeth, Hamlet, réduits à de semblables proportions, m’ont toujours paru souverainement ridicules. Pourquoi ôter la voix à ces passions sublimes qui ont tant de choses à nous apprendre des mystères du cœur ? La mythologie, la légende, l’histoire, abondent en imaginations dramatiques, lyriques, chorégraphiques, en personnages tellement organisés, que leur passion est faite pour se répandre en phrases déclamées, en airs mélodieux, en gestes ; le tout, c’est de savoir choisir. Par exemple, si les Grecs ont connu ce genre de spectacle, Hélène, la beauté pure, mais impassible, inerte, préoccupée sans cesse de sa pose harmonieuse ou de son geste, Hélène a dû être chez les Grecs un admirable personnage