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REVUE MUSICALE.

poudreux de l’Opéra-Comique semblent reverdir ; le printemps se fait ; il n’y a pas jusqu’à M. Moreau-Sainti qui ne retrouve un brin de voix dans son gosier. — On s’occupe d’une partition nouvelle que M. Halévy vient d’écrire pour l’élégante cantatrice d’Auber. Le chantre de la Peste de Florence, après avoir labouré vainement dans ses profondeurs le sol ingrat pour lui de l’Académie royale de musique, se voue au culte des muses paisibles. Nous souhaitons sincèrement à M. Halévy un succès sérieux et capable de le consoler des récentes mésaventures de Guido et Ginevra.

Les concerts se succèdent avec une rapidité sans exemple ; ce ne sont de toutes parts que séances et matinées de musique instrumentale, de musique vocale, de musique de chambre ; que sais-je ? Quand les mots ne suffisent plus, on en invente, et du reste, au fond, les choses ne varient guère. Quelle que soit l’affiche ambitieuse qui vous leurre, vous n’échappez pas aux pianistes qui font d’ordinaire à eux seuls tous les frais de ces réunions monotones. La race des pianistes a singulièrement multiplié depuis quelques années ; ils sont si nombreux maintenant, qu’on ne les peut compter : il y en a de tendres, de passionnés, de rêveurs, de mélancoliques et de catholiques, et, chose étrange ! tous ont la puissance et le génie ; tous portent à leurs fronts illuminés le signe glorieux et fatal. On dirait qu’il en est de la tribu des pianistes comme de la race juive, et que le ciel répand sur elle à tout instant des dons sublimes qui, dispensés autrement, suffiraient pour alimenter durant trois siècles la poésie et les autres arts. Dès qu’il s’agit du piano, le talent n’est plus de mise ; il faut absolument parler de génie : le génie a si bon air lorsqu’il provoque avec ses doigts de flamme la sonorité du clavier ! Et cependant, au fond de tout cela, combien de tristes imitateurs, combien de médiocrités sonnantes pour deux maîtres vraiment reconnus, Thalberg et Listz ! je ne dis pas Chopin, fantôme vaporeux que l’imitation ne peut saisir. Au-dessus de ce petit monde règne la société des concerts. La symphonie en ut mineur, la symphonie en la, les ouvertures d’Oberon, de Freychütz, d’Euryanthe, de Coriolan et de Fidelio, que dire d’un pareil répertoire ? Nous avons eu tant de fois l’occasion de saluer ces chefs-d’œuvre, que nous ne saurions en parler sans retomber dans les mêmes formules d’admiration et d’enthousiasme. Il y a des beautés si incontestables, si radieuses, si sincères, qu’elles se proclament d’elles-mêmes. Que penserait-on d’un homme qui, dans son culte religieux pour les merveilles de la nature, se croirait obligé d’écrire de belles pages à la louange du soleil chaque fois qu’il se lève ? L’orchestre du Conservatoire a exécuté au premier concert un fragment du troisième quatuor de Beethoven avec cette verve précise, cet entraînement plein d’exactitude qu’on ne trouve que là. Cette manière de multiplier les parties et d’exécuter en symphonie la plupart des quatuors de Beethoven a fait grand bruit en Allemagne, et tient en émoi les plus illustres dilettanti de Vienne. Les uns prétendent que la musique des quatuors ne peut que gagner beaucoup à cette innovation ; les autres soutiennent qu’elle y perd ; il y a même à ce sujet un pari de vingt mille florins, dont le baron de P. a confié