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la solution à la sagesse d’un grand maître en ce moment à Paris. Nous ne savons à laquelle de ces deux opinions le célèbre musicien donnera gain de cause ; cependant il nous semble qu’en pareil cas on pourrait répondre à la fois oui et non : oui, dans les parties symphoniques du morceau ; non, dans les parties concertantes. En somme, nous pensons qu’on ne saurait avoir trop de respect pour le génie, et qu’il convient, autant que possible, de produire ses œuvres dans la forme qu’il s’est plu à leur donner. Quand Beethoven composait un quatuor, ce n’était pas une symphonie qu’il prétendait faire, et ni l’exécution prodigieuse de la société des concerts, ni l’exemple de la sonate en ut mineur de Mozart, convertie en symphonie aux applaudissemens de toute l’Allemagne, ne nous sembleraient des raisons suffisantes en un tel débat.

On s’entretient beaucoup dans le monde, cet hiver, de Mlle Pauline Garcia ; on la recherche partout, on l’applaudit, on la fête comme un souvenir de la Malibran, dont elle a par momens l’inspiration généreuse et la flamme sacrée. La voix de Pauline est tout simplement cet admirable mélange du contralto et du soprano qui se transmet par héritage dans la famille des Garcia. Cependant, jusqu’ici, le contralto domine, les notes graves sortent pleines, vibrantes, bien nourries, tandis qu’on sent dans le haut comme une légère incertitude qui vient sans doute de l’extrême jeunesse de la cantatrice. Sa voix de soprano n’a encore ni toute sa portée ni tout son timbre ; elle hésite, elle ploie ; on dirait un jeune faon qui vient de naître et dont les jambes tressaillent et fléchissent. Plus tard, quand il aura brouté les feuilles des arbres et bu l’eau claire de la fontaine, les forces lui viendront, et le jeune faon bondira d’un pied sûr à travers les joyeuses campagnes, et franchira, sans que rien l’arrête désormais, les fossés et les taillis. Ainsi de Pauline Garcia : il faut que cette voix adolescente se fortifie dans l’étude et le repos. Malheureusement le succès l’a prise sur ses ailes, et Dieu sait où il la conduit. On lui répète tant chaque jour qu’elle a du génie, et qu’il lui suffira de monter sur la scène pour prendre aussitôt la place de la Malibran, que je crains bien que la tête ne lui tourne. Par exemple, on a peine à voir cette voix puissante, faite pour se former à la grande école de Crescentini et de Garcia, se dépenser en chansons de contrabandista et en tyroliennes. Cela est charmant et merveilleux, je l’avoue ; on se pâme d’aise aux inspirations de Mlle Puget et de M. de Beauplan, bien autrement, ma foi, que s’il s’agissait de Mozart ou de Cimarosa ; et puis Pauline dit ces petits airs avec tant de charme, et puis elle a pour elle l’exemple de sa sœur ! Oui, mais lorsque la Malibran s’abandonnait à ces caprices, sa renommée et sa gloire étaient déjà fondées ; elle avait joué Desdemona, Arsace, Romeo, Rosina, Ninetta, tous ses rôles enfin ; elle avait fait ses preuves dans la grande musique. Aussi on l’applaudissait sans arrière-pensée, et ses amis la laissaient se délasser par là des fatigues énervantes de l’inspiration. Mais, ici, peut-on dire qu’il en soit de même ? Pauline Garcia n’a révélé encore que des dispositions magnifiques, à la vérité, mais que