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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/579

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REVUE. — CHRONIQUE.

Il n’est donc pas vrai de dire que les dix-huit articles décidaient en faveur de la Belgique la question territoriale. Mais quand même cette assertion serait aussi fondée qu’elle est inexacte, il n’en résulterait pour la Belgique aucune espèce de droit, aucun titre légal aux avantages quelconques que ces propositions lui pouvaient donner ; car les dix-huit articles n’existent pas ; et ce qui existe, c’est le traité, du 15 novembre 1831, aujourd’hui modifié en faveur de celle des deux parties qui l’avait adopté dans sa forme la plus rigoureuse.

Je crois sincèrement, monsieur, que personne en Belgique ne se fait illusion sur le fond du droit à cet égard. Mais les passions sont soulevées ; l’esprit de nationalité se révolte, fortifié par le sentiment de la fraternité religieuse, et ce sont là de bien grands obstacles à vaincre pour arriver à l’exécution des traités. Le roi Léopold, homme d’un jugement ferme et d’une intelligence élevée, quoique se sentant placé sur un mauvais terrain, veut épuiser tous les moyens raisonnables de résistance et d’ajournement, et se le doit à lui-même non moins qu’à son peuple. Aussi a-t-il plutôt encouragé que retenu l’élan des chambres belges et d’une partie de la population ; aussi a-t-il mis son armée sur pied ; aussi a-t-il essayé d’imposer à l’Europe par une attitude menaçante. L’Europe, qui apprécie toutes les difficultés de sa position, ne peut assurément ni s’en étonner, ni s’en irriter. Mais je crois qu’on a donné au roi des Belges un conseil imprudent et dangereux, quand on lui a fait jeter les yeux sur le général polonais Skrzynecki pour un commandement dans l’armée. Le gouvernement belge sait combien la question religieuse préoccupe en ce moment le cabinet de Berlin, quelles inquiétudes ont causées au roi de Prusse les imprudences du clergé de Belgique, et ses liaisons, peut-être coupables, avec le clergé des provinces rhénanes. Il sait encore que ce malheureux différend contribue à rapprocher la Prusse de la Hollande. Et c’est en présence d’une pareille situation, que, par l’appel du général Skrzynecki, il alarme l’opinion protestante dans toute l’Allemagne, inquiète et mécontente sous un autre rapport les trois puissances qui ont des provinces polonaises, semble vouloir exalter les passions politiques par le fanatisme religieux ! Aujourd’hui que les chargés d’affaires d’Autriche et de Prusse ont quitté Bruxelles, pourrait-on me dire si la présence du général Skrzynecki en Belgique n’est pas devenue plus embarrassante qu’utile ? Au moins les Belges qui nous appellent sans façon des athées, auront-ils été cette fois singulièrement édifiés de l’accès de dévotion avec lequel la presse parisienne a salué le héros catholique d’Ostrolenka. Mais elle n’a pas tardé à prendre sa revanche contre le nonce du pape à Bruxelles, monseigneur Fornari, qui se permet d’engager le roi Léopold à ne pas tirer l’épée, et contre l’archevêque de Malines, qui est, dit-on, du même avis. Cependant elle parle encore avec attendrissement de ces bons curés de campagne qui poussent vigoureusement à la guerre sainte, et de M. le comte de Robiano, qui se fait un cas de conscience d’abandonner le Limbourg et le Luxembourg à la Hollande hérétique. C’est Voltaire devenu capucin.