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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

ser une vie de plaisirs, de flatter sa fantaisie, et d’éloigner de lui les labeurs de l’étude. Aussi, de l’ignorance dans l’esprit, du désordre dans l’imagination, de l’incertitude dans le caractère, des désirs violens, l’horreur de tout frein et de toute entrave, voilà ce que, de jour en jour, on remarquait dans le fils d’Agnès. Il prit bientôt en dégoût la princesse Berthe, avec laquelle il était fiancé depuis long-temps, et ne songea plus qu’à une séparation. Il s’attira la haine des Saxons, dont il traita les nobles avec mépris, puisqu’il les éloignait de ses conseils et de sa familiarité. On disait qu’un jour, sur une des hautes montagnes de la Saxe, il s’était écrié : « Beau pays, mais habité par des esclaves ! » Or, quoi de plus imprudent et de plus insensé que le mépris jeté à la face d’un peuple ? Pendant quelque temps, les Saxons avaient vu sans crainte et sans soupçon s’élever sur leurs terres des forteresses qu’on disait construites contre l’invasion des peuples barbares ; mais bientôt on s’aperçut que c’étaient des instrumens de tyrannie qui menaçaient la liberté des anciens jours.

Henri poursuivait toujours la pensée d’un divorce avec Berthe, et l’archevêque de Mayence lui avait promis son appui dans cette scandaleuse affaire. Mais un homme se trouva sur le chemin du capricieux empereur, qui le contraignit de renoncer à ce désir : c’était Pierre Damien, évêque d’Ostie, prêtre d’une piété profonde, aimant avec passion les rigueurs du cilice, du cloître et de la macération, gémissant sur les plaies de l’église, méditant sur la nécessité d’une grande réforme, mais dénué de génie politique, mais dépourvu de cette volonté de fer et de feu qui animait si fort Hildebrand, de l’aveu même de ses contemporains, que Damien l’avait appelé saint Satan, doué d’une piété néronienne, tant celui qui, plus tard, s’appellera Grégoire VII, faisait aux hommes l’effet du diable au service de Dieu ! Les lettres de Pierre Damien, sont curieuses : on l’y trouve se lamentant sur son siècle, se plaignant que tout respect pour le prêtre est perdu, parce que le prêtre n’est plus qu’un bouffon, déplorant le sort du genre humain, qu’un mauvais esprit précipite dans l’abîme. Pierre Damien aurait désiré ne jamais quitter sa solitude chérie ; mais le pape, ou plutôt Hildebrand, voulait se servir de sa piété, de l’autorité qu’elle lui donnait : on l’envoyait comme légat en France, en Allemagne ; c’est ainsi qu’à Francfort, Pierre Damien, au nom du saint père, condamna hautement le projet de divorce que nourrissait Henri IV. Les seigneurs applaudirent à sa sainte éloquence, et le roi fut obligé de déclarer qu’il se ferait violence et porterait son fardeau comme il pourrait. D’autres déplaisirs plus