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en coupa deux petites branches et nous les offrit, non sans jeter un long regard sur la tige, comme pour être bien sûr qu’il ne l’avait pas trop cruellement blessée. Un peu plus loin, à Kœnigshofmark, on trouve un jardin plus large encore et plus riche : il y a là des plates-bandes couvertes de pavots et d’autres chargées de petits pois. Quand on vient des rochers de Hammerfest, c’est une véritable merveille.

Auprès de Bossekop, on aperçoit pourtant une colline rocailleuse pareille à celles qui parsèment l’Océan jusqu’au Cap-Nord : elle s’élève au bord de la mer et termine, comme une forteresse, le circuit de la baie. Du haut de son sommet, on découvre un large et imposant horizon : d’un côté, les ruines de Kaafiord, d’où s’échappent sans cesse des tourbillons de fumée ; de l’autre, le détroit de l’Étoile, les montagnes couvertes de neige, le golfe coupé de distance en distance par la pointe d’un roc, resserré en d’autres endroits comme un lac, puis se déroulant au large et fuyant dans le lointain. Là-bas la vie industrielle, ici la vie maritime et aventureuse ; la barque du pêcheur suivant comme une couleuvre les sinuosités de la côte, et le brick à la lourde mâture se berçant sur les vagues.

Sur ce rocher, où j’étais venu m’asseoir par une belle soirée, pour contempler, dans une heure de rêverie solitaire, les deux côtes du golfe, les chaînes de montagnes et les petites habitations de Bossekop, riantes et paisibles comme des strophes d’idylle, sur ce rocher dont une vague caressante venait, avec un doux murmure, baiser les contours, je n’aperçus qu’un pauvre pin dont les branches courbées sur la pierre semblaient appeler en vain une autre plante. Sa cime était déjà dépouillée d’écorce et jaunie ; la terre qui recouvrait ses racines commençait à se dessécher, et le vent qui passait à travers ses rameaux rendait un son triste. Je regardai ce malheureux arbre qui dépérissait ainsi dans l’isolement, et la conversation suivante s’engagea entre nous :

LE VOYAGEUR.

Au bord de l’Océan, pauvre arbre solitaire,
Sans force et sans appui, j’ai pitié de ton sort.
Comment es-tu venu tout seul sur cette terre ?
Comment as-tu vécu sous ce ciel froid du Nord ?

L’ARBRE.

Un soir le vent du sud apporta sur son aile
Un bourgeon fugitif à ce roc décharné.
Le printemps souriait et la mer était belle,
Et le ciel rayonnant à l’heure où je suis né.
Puis, lorsque j’ai grandi, sur ce sol que j’ombrage,
J’ai penché mes rameaux et mon front agité ;
Je cherchais un soutien pour les heures d’orage,
Un rameau caressant pour les beaux jours d’été.