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s’abandonna gaiement à leurs démonstrations de tendresse. Mais le lendemain, tandis qu’elle était sortie avec son mari, sa mère entre dans leur tente, trouve leur enfant au berceau, lui tord le col et le mange. Son fils, qui la regardait, lui en demande un morceau, et elle lui dit : « Attends jusqu’à demain, je te donnerai le cœur de ta sœur. » Quand la jeune femme revient, elle voit tout ce qui s’est passé, et devine ce que ses parens projettent encore. Il ne lui reste plus d’autre parti à prendre que la fuite. Tandis qu’elle concerte avec son mari ses moyens d’évasion, son père entre avec un sourire amical, et, après avoir causé pendant quelques instans de choses et d’autres, il dit à son gendre : « À quelle heure, mon ami, dors-tu le mieux ? — Vers le matin, répond le Lapon. Et vous, beau-père ? — Vers minuit.

À minuit, le gendre, ne distinguant plus aucune lumière et n’entendant aucun bruit, laisse sa tente debout pour ne pas éveiller de soupçon, et s’en va ; la femme attelle au traîneau un renne vigoureux et se cache derrière un arbre. — Aux premiers rayons du matin, le père arrive avec une grande pique qu’il enfonce dans la toile de la tente en murmurant : « Là est le cœur de mon gendre, là est le cœur de ma fille. » Un instant après arrive la mère portant un baquet pour recueillir le sang ; mais la jeune femme qui les observe s’écrie : « Vous n’aurez ni le cœur de votre gendre, ni celui de votre fille. » Puis elle monte dans son traîneau et fait galoper le renne. Le père lui crie : « Attends-moi, attends ; je veux mettre ta dot dans ton traîneau. » Elle s’arrête ; elle attend, et, au moment où le vieux Stallo pose les mains sur le bord de l’ackija, elle prend une hache et les lui coupe. Après lui arrive sa femme qui fait la même prière, subit le même sort, et s’écrie « Jette-moi du moins mes doigts qui sont tombés dans ton traîneau, misérable enfant ! »

L’autre histoire présente des mœurs plus caractéristiques encore.

Il y avait une fois deux frères, nommés Sotno, qui avaient une sœur fort belle et un grand troupeau de rennes. À dix milles d’eux vivaient trois frères de Stallo, redoutés dans tout le pays. Une nuit, ils s’introduisirent dans la demeure des Sotno, enlevèrent Lyma, leur sœur, et tout ce qui leur appartenait ; mais la jeune fille, en s’éloignant, laissa tomber sur la route des excrémens de renne pour guider ses frères dans leurs recherches. Le soir ceux-ci arrivent auprès de la demeure des Stallo et s’arrêtent au bord d’une source, pensant bien que leur sœur viendrait y puiser de l’eau. Un instant après elle apparaît, et ils lui donnent leurs instructions. « Nous savons, lui disent-ils, que quand les frères Stallo ne trouvent pas leur nourriture parfaitement propre, ils s’en éloignent avec dégoût. Lorsque tu prépareras leur soupe, jettes y, comme par mégarde, un peu de cendre ; ils la repousseront, et tu nous l’apporteras. » Les choses se passèrent comme ils l’avaient prévu : les trois Stallo se mirent en colère en voyant de la cendre et du charbon tomber dans la chaudière de cuivre où cuisait leur soupe. Ils ordonnèrent à Lyma de la jeter dehors, et elle l’apporta à ses frères. « Maintenant, lui dirent-ils, si l’aîné des Stallo cherche encore à te séduire, tu ne résisteras pas, comme