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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

tu l’as fait jusqu’à présent, à sa passion ; tu te laisseras conduire sur sa couche, mais tu lui enlèveras la ceinture de fer qu’il a coutume de porter sur lui, et tu déroberas à sa vieille mère le tube magique dont elle se sert pour tirer le sang de ses victimes. » Lyma parvient à remplir leurs instructions, elle s’empare de l’instrument de sorcellerie et le cache ; elle dénoue la ceinture de fer et la jette au feu. Pendant ce temps, ses frères amènent leurs rennes auprès de la demeure où elle est renfermée et les font battre entre eux. Le plus jeune des Stallo se lève pour apaiser le bruit ; les deux Sotno l’attendent à la porte et le tuent. Le même bruit recommence ; un autre frère sort et tombe également sous la hache de ses ennemis. Enfin, l’aîné des Stallo, ignorant le sort de ses deux frères, s’avance sur le seuil de son habitation et reçoit un coup mortel. Les deux Sotno prennent alors les vêtemens de leurs victimes et entrent dans la tente, car ils voulaient savoir où étaient enterrés les trésors des Stallo. Celui qui portait les vêtemens du plus jeune s’avance près de la vieille mère, pose la tête sur ses genoux et se met à causer de ses rennes et de ses voyages ; puis tout à coup, interrompant le cours de sa conversation : « Mais, dis-moi, bonne mère, s’écrie-t-il ; où est donc le trésor de mon frère aîné ? — Ne le sais-tu pas ? — Non, je l’ai oublié. — Il est sous le seuil de la porte. — Et celui de mon second frère ? — Ne le sais-tu pas ? — Non, je l’ai oublié. — Il est sous le second pilier de la tente. » Un instant après il lui dit : « Et mon trésor, à moi, pourrais-tu m’indiquer où il est ? » La vieille, irritée de son peu de mémoire, lève la main pour le frapper. Mais il l’apaise par ses humbles paroles, et elle lui dit : « Ton trésor est près de moi. — Ah ! chère mère, s’écrie alors la jeune fille, tu ne sais pas maintenant à qui tu parles. — Serait-ce par hasard à Sotno ? — Précisément. » La vieille cherche son instrument de sorcellerie et ne le trouve plus. Les deux frères la tuent, fouillent dans la terre, trouvent les trésors et s’en retournent avec leur sœur.

Pendant que le pasteur de Karesuando nous faisait ce récit, nos hommes s’étaient retirés dans leur tente. Notre guide seul était resté auprès de nous. Il écoutait d’une oreille attentive ces récits qu’il avait entendus dans son enfance, et quelquefois ajoutait un trait de plus à l’esquisse du prêtre. Un silence profond régnait alors autour de nous. On n’entendait que le tintement lointain d’une clochette suspendue au cou d’un cheval, et le murmure des branches de bouleau balancées par le vent. À voir alors les étincelles de notre foyer qui jaillissaient comme des fusées, notre tente debout dans l’ombre, et cette forêt ténébreuse, et nous tous, couchés par terre autour du conteur, on eût dit une assemblée d’Arabes écoutant une des traditions d’Antar.

Ce fut là notre plus belle halte. Le lendemain nous nous réveillâmes avec la pluie ; les champs inhabités de la Laponie s’ouvraient devant nous. Dès ce moment, il fallait dire adieu aux rians enclos de verdure, que nous avions retrouvés encore près de Kaafiord, adieu aux légères tiges de bouleau flottant